Tous ces corps qu’on exhibe au nom du progrès collectif, tous ces codes qu’on casse au nom du bonheur individuel, tous ces gémissements qu’on hisse en bannières, ces ahanements dont on tapisse les villes, tout ce cul qui trône au-dessus de nos têtes… eh bien, oui, ça a ses bons côtés, c’est politiquement correct, ça augmente la température sans les inconvénients du réchauffement climatique et c’est même par moments très joli pour l’œil…, mais en même temps, parfois, il y a une petite lumerotte qui s’allume, là, une sorte de remontée d’éducation judéo-chrétienne-jésuite, qui transforme ces vastes odes à la liberté en défilé au pas de l’oie d’une tyrannie impitoyable.
Oui, le clito, le polyamour, l’échangisme, le mariage homo, les fécondations in vitro de lesbiennes, les mères à 65 ans, c’est bien pour elles, c’est chouette pour eux, mais, quand même, y a des trucs, ben, on est moins d’accord.
Qu’on nous harangue pour que les femmes, seules ou non, aient le droit au plaisir via leur petit instigateur à double arche, boh, c’est sympa finalement.
Et si ça les libère d’un joug… okay, aidons-les à se libérer, titillons… libérons nous-mêmes, soutenons le combat !
Diffractons, même…, oui, diffractons, évitant une symbiose vécue comme dangereuse, c’est là un bel acte de liberté partagée et acceptée grâce à la compersion : le fait d’être heureux du bonheur de l’autre, même si l’on n’en est pas responsable (sic !).
L’a bon dos, parfois, le bonheur des autres.
Bref, il ne faut rien condamner face à tous ces corps qui s’étreignent joyeusement sous nos yeux… mais ne pas, pour autant, opiner complètement à tout…, la chambre, le lit, la couette, en un ensemble, reste un havre de paix, même parfois fiévreux !
Mais…, fatigue extrême…, la conquête effrénée du bonheur, du plaisir et de la liberté individuelle…, de l’interdit d’hier, sont peu à peu devenus des devoirs…
Cet impératif du : “jouissez sans entrave”, sous peine de passer pour un “vieux coincé”…, est-il de mise ?
Oui, ça n’a pas changé.
Cela s’aggrave même au fil du temps qui passe…
L’émancipation du plaisir va de paire avec un dogmatisme sans frontière qui s’est généralisé.
Ce qui était l’apanage d’une petite minorité de gauchistes ou de libertaires dans les années ’60 est devenu aujourd’hui une parole collective.
C’est toute la société qui est sommée de se soumettre à ce nouveau diktat.
Le plaisir, ce n’est pas le libre exercice des sens, c’est une pratique sociale par laquelle la réussite est requise.
Cette attitude est même connotée politiquement !
Pour le dire de manière fleurie : le clitoris est de gauche !
Traditionnellement, le sexe est plutôt à gauche, puisqu’on en a fait un instrument de subversion du système. Le mot “érection” rime avec “insurrection”.
La position du missionnaire est de droite, le Pacte civil de solidarité : contrat conclu, en France, entre deux personnes majeures de sexe différent ou de même sexe…, est de gauche, c’est un héritage lointain de Sade, où les perversions ont été transformées en idées révolutionnaires. Au XVIII ième siècle, la sodomie était punie de mort par l’Église et elle a été interdite jusqu’à tout récemment dans certains états américains…
Il y a cette idée qu’en pratiquant certaines choses, on met à mal tout l’édifice social, et donc on fait avancer l’humanité.
Aujourd’hui, il s’agit moins d’une stigmatisation publique que d’une intimidation privée, c’est dans l’intimité que les uns et les autres se calomnient au nom de la performance obligatoire.
On sent bien que le rapport sexuel est aussi un rapport conflictuel : la femme doit être au fait de ce qu’il faut faire ou non tandis qu’elle va exiger d’un homme non seulement qu’il la satisfasse mais aussi qu’il la surprenne.
La libération sexuelle a libéré aussi une guerre potentielle au niveau des compétences et des performances.
Ce n’est pas une invention de la modernité : toutes les comédies classiques (chez Plaute, chez Aristophane), sont remplies de mégères qui se moquent des petits attributs de leurs compagnons ou qui vantent au contraire leurs performances extraordinaires…
Il y a là un trait historique mais qui, aujourd’hui, a pris une connotation plus politique et plus philosophique.
Il est temps de crier “osez le clitoris” plutôt qu’hurler à la pénétration…
C’est toute une philosophie !
> Parce que, lorsque l’on parle de sexualité, le clitoris est souvent oublié,?
> Parce que très peu de gens savent à quoi il ressemble ou comment il fonctionne,?
> Parce qu’encore trop peu de personnes ont la chance d’en profiter,
> Parce que donner du plaisir aux femmes est la seule utilité de cet organe méconnu,?
> Parce qu’il est objet d’ignorances, de dénigrements voire de mutilations.
> Mais aussi et surtout parce que le clitoris, c’est bon !
Les sexualités des femmes sont multiples, se vivent indépendamment de la reproduction et ne sont pas forcément complémentaires du sexe masculin.
Le clitoris et les sexualités des femmes sont aussi des sujets de société : le fait qu’on les oublie, qu’on les nie, qu’on les enferme dans des normes ou qu’on les mutile a des conséquences importantes sur nos vies quotidiennes.
Les sexualités des femmes ne sont pas en creux, passives ou anecdotiques : au contraire, elles enveloppent, enserrent, prennent, diffusent, vibrent, jaillissent et sont multiples !
Les plaisirs sexuels des femmes sont importants : il est fondamental que chaque femme ait les moyens de connaître ce qui fait vibrer son corps : “les délices du clitoris”.
Regardons quelques minutes autour de nous : que nous ouvrions un manuel d’éducation sexuelle, un livre de médecine, un ouvrage ou regardions un film érotique, le clitoris est souvent le grand absent des parties de jambes en l’air !
Organe nié ou minoré (ne servant qu’aux préliminaires), il est même encore l’objet de mutilations dans de nombreux pays du monde, en France comme ailleurs.
Le clitoris, en tant qu’expression du plaisir sexuel des femmes ne va pas sans interroger fortement les fondements de notre société.
L’omerta sur la sexualité féminine dans nos sociétés est le fruit d’une histoire qui a produit des normes et des mythes.
Si les pratiques sexuelles de chacune et chacun appartiennent à la sphère privée, l’absence totale de reconnaissance et de connaissance des sexualités des femmes est un sujet social et culturel.
Histoire d’une dépossession…
Il est des mythes qui perdurent dans les toutes les sociétés.
En Occident, la plupart sont héritées de la culture judéo-chrétienne.
Exemple : la femme est censée avoir été créée non pas en même temps, mais à partir de l’homme.
Sur ce mythe fondateur s’est construite l’idée selon laquelle les femmes doivent tout aux hommes, en particulier en ce qui concerne la possibilité de disposer librement de son corps et de sa vie.
Pour accréditer cette idée, littérature, philosophie et médecine ont croisé leurs approches afin de naturaliser à l’extrême “la” femme.
Voici une liste non exhaustive parmi la multitude de fausses vérités historiques ayant encore droit de cité :
– La femme serait de “constitution délicate”, d’une “tendresse excessive”, à la “raison limitée” et aux “nerfs fragiles”.
L’accent étant systématiquement mis sur l’infériorité intellectuelle et physiologique de la femme, faible par sa constitution, tentatrice mythique ou se tenant dans le meilleur des cas dans l’ombre des grands hommes. Ces constructions historiques désuètes sont essentielles quand on s’intéresse à la question de la sexualité des femmes car elles ont profondément influencé les sociétés dans lesquelles nous vivons et automatiquement la vision des femmes sur elles-mêmes.
En sociologie, on parle d’intériorisation quand un individu fait siennes les valeurs de la société à laquelle il appartient.
En ce qui concerne les femmes, cette intériorisation de leur statut d’être incomplet et dépendant de l’homme a à la fois des origines anciennes et des répercussions très actuelles.
Jusqu’au XVIIème siècle, les femmes doivent se contenter d’une activité domestique, extérieure à la société civile et sont donc limitées au rôle de mères, loin des fonctions sociales.
Lorsqu’elles travaillent, c’est gratuitement, en aide d’appoint.
C’est à ce titre qu’elles sont privées d’instruction, hormis l’apprentissage des devoirs de la bonne ménagère.
La femme est donc le principe spirituel (l’âme) du foyer tandis que l’homme en est le principe juridique.
Cette identification de la femme à la communauté familiale lui ôte son individualité et renforce son statut d’être passif.
En ce qui concerne ses relations intimes avec son mari, la poésie et la volupté qu’on trouve dans le Cantique des Cantiques sont bien moins publicisés et vantés que la pudeur et l’obéissance.
D’ailleurs, au Moyen Age, l’Église n’admet qu’un seul type de rapports sexuels : hétérosexuels, vaginaux, d’un couple marié, avec la femme sur son dos et l’homme au-dessus d’elle (position dite du missionnaire).
Les femmes ne peuvent pas refuser à leur mari d’avoir des rapports sexuels, pratique connue sous le nom de “devoir conjugal” et abolie en France en… 1990 !
Si la Révolution française a été l’occasion d’une remise en cause des rapports entre les sexes, les femmes devenant des êtres humains à part entière et obtenant à ce titre certains droits, la marche vers le suffrage universel se fait… sans elles !
Les préjugés sur leur nature ont induit un ordre social où bien qu’étant les premières concernées dans la sphère privée, elles ont été les dernières impliquées, dans la sphère publique.
Cachez ce clitoris que je ne saurais voir…
Du Moyen-âge au XVIIIème siècle, la sexualité n’est considérée qu’en raison de son utilité reproductive.
En dépit du devoir de pudeur auquel sont tenues les femmes, leur pratique de la masturbation est tolérée car les autorités de l’époque croient que cette activité favorise la procréation.
Le rôle du clitoris est donc connu et plutôt valorisé.
Ce sont les avancées médicales qui vont commencer à remettre en cause cette liberté car le lien entre plaisir et procréation s’avère inexistant.
Si l’on ajoute à cela la parution d’une brochure intitulée “Onania” en 1712, qui dresse un tableau terrifiant (sic !) des effets secondaires liés à la masturbation (re-sic !)…, on peut comprendre la disparition de la mention du clitoris dans la littérature et les traités médicaux.
A l’exception de Sade, en 1801, il faut attendre le début du XXème siècle pour que le clitoris sorte du silence…, pour retomber quasi automatiquement dans le mépris.
En 1922, Freud et son Introduction à la psychanalyse vont signer l’achèvement de la reconnaissance des sexualités féminines.
La théorie de Freud postule chez la fillette une frustration due à l’absence chez elle de pénis, il pense que la fillette ne dispose pas de sensations internes lui permettant d’acquérir la connaissance de son propre sexe. Si bien que le garçon a un sexe à investir, alors que la fillette n’a rien.
Le clitoris serait d’ailleurs pour Freud l’équivalent féminin du pénis, dans la continuité de sa conception de la fille comme garçon au sexe tronqué : la sexualité de la fillette est donc masculine.
Pour devenir une femme, elle devra abandonner le clitoris : “La transformation de la petite fille en femme est caractérisée principalement par le fait que cette sensibilité [dont le clitoris est le siège] se déplace en temps voulu et totalement du clitoris à l’entrée du vagin”.
Cette théorie est à l’origine de ce que des chercheuses et chercheurs ont appelé l’excision culturelle, une vision de la sexualité des femmes, reposant sur la négation de leur appareil génital, étudiée en creux et dépendante de la gent masculine.
Le clitoris : un héros très discret…
Au début du XXème, le clitoris est en disgrâce quand il n’est pas tout simplement ignoré et le plaisir des femmes quand il est considéré, ne l’est qu’en lien avec la reproduction.
C’est le mouvement prônant le contrôle des naissances et l’une de ses conséquences, l’apparition de la contraception, qui vont peu à peu amener les femmes vers une plus grande autonomie sexuelle et sociale.
La morale dominante dans les sociétés patriarcales qui dénie aux femmes le droit et le pouvoir de disposer de leur corps est fortement remise en cause, notamment par le mouvement féministe.
Sexualité et reproduction se dissocient, c’est une révolution copernicienne fondamentale pour l’émancipation des femmes.
Un des corollaires de ce changement de mentalités est l’apparition de l’idée qu’il peut exister un plaisir sexuel pour les femmes indépendant du sexe de l’homme.
Parallèlement, à cette lente évolution des mœurs, s’opère (du moins aux Etats-Unis), une mini-révolution scientifique puisque des chercheurs réinvestissent le champ de la sexualité féminine.
En 1953, un rapport explique : “Environ 45% de toutes les femmes qui s’étaient déjà masturbées déclarèrent atteindre habituellement l’orgasme en trois minutes ou moins, et 25% en quatre ou cinq minutes. Il est donc exact que les femmes réagissent plus lentement que les hommes au cours du coït, mais cela semble dû à l’inefficacité des techniques coïtales habituelles”.
Cette petite phrase est lourde de conséquences puisqu’elle vient contredire des siècles de naturalisation où le rapport hétérosexuel est la norme et le mode exclusif d’accession à l’orgasme.
La société patriarcale qui repose sur la complémentarité des femmes et des hommes en prend un coup : non contentes de disposer librement de leur corps, les femmes possèdent une autonomie sexuelle et une activité sexuelle à part entière.
Cette possibilité d’une accession à l’orgasme en dehors de la relation aux hommes est sacrément dérangeante : les femmes deviennent les égales des hommes, peuvent partir et revenir, voire même choisir d’avoir une sexualité seule ou avec une autre femme.
Un bouleversement qui ne peut se faire en douceur et sans résistances.
Ces mouvements disjoints vont finalement converger dans les années ’60 et ce grâce aux mouvements féministes.
Si le clitoris commence à être reconnu comme l’organe principal dans l’accession des femmes à l’orgasme, l’apparition de la question de la sexualité des femmes dans l’espace public est loin d’être assurée.
La polémique lancée en 1970 par Anne Koedt, auteure de l’article “Le mythe de l’orgasme vaginal”, ne fait que commencer et n’est toujours pas résolue à ce jour.
L’émancipation sexuelle, c’est l’émancipation tout court !
En dépit d’une persistance d’un positionnement réactionnaire dans la recherche française et dans les sociétés occidentales en général, l’affirmation de la sexualité des femmes comme sujet d’étude, de débat et sujet social semble connaître un nouvel essor depuis les années 1990.
On peut citer de manière anecdotique un des premiers groupes de rap féminin, Salt-n-Peppa, qui en 1991 sort un single intitulé : “Let’s Talk about Sex”.
Dans un registre plus universitaire, les recherches du Dr Helen O’Connell en 1998, mettent enfin en lumière l’anatomie exacte du clitoris.
La diffusion du premier film documentaire lié directement et nommément à ces recherches, tout en revendiquant une volonté de démythifier la sexualité des femmes est diffusé sur Arte en 2003.
C’est en 2007, puis 2008 que paraissent deux ouvrages traitant du clitoris en croisant recherches scientifiques, sciences humaines et témoignages de femmes.
Enfin, en 2011, Odile Buisson lance un défi à ses confrères français dans un ouvrage qui explique bien les origines du retard français dans l’étude scientifique de la sexualité féminine.
Le champ de la culture et du vocabulaire doivent être questionnés et démythifiés.
Par exemple, il reste communément admis qu’un homme très actif sexuellement se voit congratulé quand une femme se verra insultée.
En 1998, le groupe Tryo faisait très justement remarquer dans une de leur chanson : “Un homme qui aime les femmes on appelle ça un Dom Juan. Une femme qui aime les hommes on appelle ça comment ?”…
Le clitoris n’est donc pas un simple petit bourgeon servant d’amuse-bouche…, il s’agit d’un véritable plat principal, complet et capable de satisfaire tous les appétits… les 8000 terminaisons nerveuses dont il dispose sont autant de promesses de délices pour toutes celles et tous ceux qui en ont fait ou en feront l’expérience !