“L’été: les vieux cons sont à Deauville, les putes à Saint-Tropez et les autres sont en voiture un peu partout”… (citation de Michel Audiard)
Il y a quelques années on avait pu suivre dans un feuilleton TV : “Grazia”, les aventures d’une attachante prostituée russe à Saint-Tropez… et, compte-tenu :
– 1° du reportage phare de GatsbyOnline : Putes de luxe à Monaco : Mode d’emploi… qui cartonne avec presque bientôt 200.000 vues…
– 2° des rubriques “Saint-Tropez-Vice” ainsi que “SecretsInterdits” au sein de www.GatsbyOnline.com,..
Quelques internautes m’ont demandé si cette “glamourisation” médiatique s’appuyait sur une réalité sociétale : celle d’une prostitution occasionnelle, festive et décomplexée à Saint-Tropez… où s’il s’agissait d’une copie voire d’une extension des mœurs Monégasques…
Un an après Pigalle, la nuit, qui jouait déjà sur l’image sulfureuse de la prostituée dans l’univers fantasmatique du téléspectateur, Canal+ avait lancé sa série Maison close (Maison close, coffret 3 DVD, en vente sur Studio Canal), au titre pour le moins explicite.
Certes, ce n’était pas la première fois qu’une fiction télévisée avait recours au personnage de la prostituée, mais le fait qu’on ne la présentait ni dépressive, ni droguée, ni sous l’emprise de réseaux mafieux, était relativement nouveau.
Si les filles de Maison close, toutes plus mignonnes les unes que les autres, évoluaient dans un somptueux bordel du XIXe siècle qui aurait pu aussi bien servir de décor à une série mode sexy chic.., dans son feuilleton d’été, le magazine Grazia, sous la plume de Simon Liberati, avait également exploité une image nouvelle de la prostituée, en racontant les aventures d’une jeune femme russe, escort girl dans la jet-set de Saint-Tropez.
C’était également à Saint-Tropez que Zahia Dehar s’était consolée de l’affaire Ribéry, sous les flashs des paparazzis collés aux semelles de ses talons comme à celles d’une Paris Hilton, d’une Katy Perry… ou d’une Vanessa Hudgens, qui, pour se débarrasser une bonne fois pour toutes de l’image d’ado nunuche qui lui collait depuis High School Musical, jouait dans Sucker Punch (De Zack Snyder)… sorti en salles le 30 mars 2011, (ça fait loin derrière quand même) le rôle d’une prostituée ultra-sexy en latex dans un film fantastique.
Cette mutation manifeste de l’image de la prostituée dans l’entertainment traduisait-elle une réalité et est-elle encore d’actualité en 2020 alors que suite au Coronavirus et au confinement général obligatoire, les prostituées (et leurs clients) semblent avoir disparues ?
– Loïc, 32 ans, un graphiste au physique agréable et très à l’aise financièrement, a régulièrement recours à des prostituées : Les filles que je paye à Saint-Tropez sont l’inverse de celles que l’on voit sur les trottoirs de Nice. Ce sont de jeunes nanas, saines, consentantes, qui choisissent leurs clients et surtout qui aiment le sexe. C’est ça qui fait la différence. J’ai de gros besoins sexuels et je travaille beaucoup ; avoir recours à une prostituée est pour moi le moyen le plus simple et rapide de rencontrer des filles. La première que j’ai payée, je l’ai draguée en club. Elle accompagnait un client que j’avais pris pour son amant. Rien dans son comportement ne montrait qu’elle se prostituait car elle s’éclatait vraiment ! Pour d’autres clients, c’est une façon de séparer vie de couple rangée et vie fantasmatique délurée.
– Marion, 23 ans, escort Tropézienne occasionnelle pour mettre du beurre dans ses épinards, ne le démentit pas : J’ai toujours aimé le sexe. Et puisque je ne me reconnais pas dans les schémas de couple, d’engagement et de fidélité, j’ai toujours eu beaucoup de partenaires. Un client n’est donc pour moi qu’un partenaire sexuel de plus…
– Nathalie, 26 ans, qui comme Marion revendique son statut d’occasionnelle Tropézienne, confirme : Je suis de plus en plus branchée par des mecs qui ne veulent pas aller seuls en club et n’ont pas de copine pour les accompagner. Mes clients me payent autant comme ticket d’entrée pour les soirées couples que parce que je leur plais. Quand je ne vend pas mes services en club, je reçois à domicile. Je couche avec mes clients exactement comme mes copines couchent avec les plans d’un soir qu’elles ramassent sur les sites de rencontres. La seule différence, c’est que quand c’est nul, j’ai au moins la satisfaction de l’argent. Quitte à libertiner, autant rentabiliser.
Après l’échangisme et l’infidélité, le tabou de la prostitution serait-il à son tour en train de se dissoudre dans le libertinage mainstream ?
Dans l’imaginaire fantasmatique masculin peut-être, mais dans la réalité sociétale, rien n’est moins sûr… selon le philosophe Ruwen Ogien, auteur du livre “Le Corps et l’argent” (éd. La Musardine) : la généralisation d’une forme décontractée de rapport à la sexualité peut parfaitement coexister avec sa désapprobation morale et sa répression légale… pensez à l’usage des drogues douces : il est de plus en plus massif, mais reste toujours aussi massivement désapprouvé !
Et de fait, pendant que Zahia faisait la une des magazines people, la loi pour la sécurité intérieure de 2003 continuait de réprimer brutalement le travail sexuel à la grande colère du Syndicat du travail sexuel (Strass), qui, contre le proxénétisme, l’esclavage, le trafic des êtres humains et l’exploitation sexuelle des enfants, prônait une prostitution autogérée et choisie, une idée qui peinait à convaincre étant donné que la prostitution restait majoritairement subie et gérée par des réseaux mafieux… mais c’était une idée qui n’en traduisait pas moins une réalité alternative :
– Eva est pragmatique : La prostitution est bien plus complexe qu’une affaire de précarité économique. Toute étudiante en galère ne se prostitue pas. Et toute prostituée n’est pas forcément en galère financière, on peut être jeune, mignonne et se prostituer de temps en temps, sans pour autant être victime du système ou de je ne sais qui ou quoi. Je ne rivalise pas avec les prostituées de luxe qui se servent de yachts luxueux loués à quai pour la saison. Elles se partagent le coût, comme il y a plusieurs cabines luxueuses elles jouent pareil que les femmes du monde qui s’encanaillent. Certaines organisent un trip cocaïne en mer pour un groupe, le coût est en proportion !
– Marion voit les choses de la même façon : J’ai commencé à me prostituer parce que le père de l’enfant que je gardais en baby-sitting à Cogolin me l’a proposé. Je le trouvais bel homme, il m’a proposé une forte somme d’argent, nous avons fait l’amour à la Messardière, un hôtel luxueux de Saint-Tropez, je n’y ai trouvé que des avantages. Cela m’a enhardie pour considérer que je n’étais pas moins belle que les dames distinguées… Je continue à faire ça une fois de temps en temps avec des hommes de même profil, et je trouve ça nettement moins traumatisant qu’un coup vite fait dans une bagnole avec un baiseur du samedi soir.
– Nathalie tient à peu près le même discours : Bien sûr, certaines fois, même avec un mec mignon, je m’ennuie. Il m’arrive aussi de déprimer, de me sentir seule, sale même, mais exactement comme dans une vie sexuelle normale ! Un plan raté, ça fait les mêmes dégâts, que l’on se fasse payer ou non. C’est quelque chose de très banal… Je ne me vends qu’à des mecs que je trouve mignons et qui peuvent me payer 2 ou 3.000 euros la nuit plus le restaurant et la chambre. Les vieux, les gros, les moches, je les zappe directement surtout les fauchés rêveurs.
C’est en marge du plus prestigieux festival international de cinéma du monde, à Cannes, que débute la saison des putes de luxe… tous les ans, environ 200 professionnelles du sexe débarquent sur la Côte d’Azur au moment du festival de Cannes et du Grand Prix de Monaco, concommitant…. c’est “The Hollywood Reporter” qui le révèle : “Chaque année, des femmes de tout genre, de ce que les Français appellent putes de luxes (des call girls payées très cher) rémunérées en moyenne 6.000 dollars [5.000 euros] la nuit… jusqu’aux prostituées locales payées généralement entre 40 et 60 euros l’heure pour faire le trottoir à Nice…, convergent pour ce que les prostituées parisiennes appellent la meilleure saison de paie de l’année”.
Interviewée, une prostituée Cannoise, surnommée Daisy, a raconté comment la période du festival de Cannes est synonyme de compétition pour elle dans la totalité de la zone PACA, les prostituées locales ayant un avantage parce qu’elles connaissent les gardiens des hôtels et peuvent donner du cash aux concierges des grands hôtels de luxe pour qu’ils rabattent des clients pour elles.
Quant aux prostituées de luxe, elles font partie d’un réseau bien organisé… elles viennent en groupe dans les stations chics et chères : Saint-Tropez, Cannes, Monaco… via des agences d’escorts-girls, depuis Paris, Londres, le Vénézuela, le Maroc, le Brésil ou encore la Russie, explique “The Hollywood Reporter”, elles sont logées dans les grands hôtels et les yachts de luxe (on les appelle les “yacht girls”).
Les soirées commencent à partir de 22 h, les filles attendent dans les vestibules des hôtels où les clients viennent discrètement faire leur marché… et quelques minutes plus tard, un homme leur indique le numéro de la chambre où elles sont attendues… à moins que le client à de gros moyens, en quel cas il est convoyé discrètement jusqu’à la coupée d’un Yacht, le prix du rapport est en rapport… et toujours dans un souci de discrétion, le salaire est délivré sous une enveloppe barrée du mot “cadeau”.
Tous ces détails, “The Hollywood Reporter”, les a obtenus par les témoignages de “vétérantes” de la prostitution à Paris, Saint-Tropez, Cannes, Monaco… mais aussi et surtout par la soif de tout balancer du Libanais Elie Nahas à l’origine de l’un des plus gros scandales de proxénitisme du sud de la France lorsque les enquêteurs de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains démantelaient peu à peu un vaste réseau de prostitution de luxe sur la côte d’Azur.
Elie Nahas, homme d’affaires et homme à tout faire de Moatassem Khadafi — décédé en 2011 — était alors soupçonné d’en être le principal organisateur… le Libanais, âgé alors de 48 ans, réfugié au Liban, a depuis été condamné (en octobre 2012) par le tribunal correctionnel de Marseille à huit ans de prison pour proxénétisme.. à peine sorti il s’est donc mis à tout raconter !
Tout le monde le sait, chaque année, en même temps que débute le Festival du film, entre 50 et 80 yachts de luxe arrivent le long des “cotes d’Azur” pour s’amuser à faire des vas-et vient entre Saint-Tropez et Monaco… ils appartiennent ou sont loués via charters à des gens richissimes, chaque bateau dispose à bord d’une dizaine de filles, ce sont des top-model qui sont quasi nues toute la journée, et à qui on sert de la drogue et de l’alcool à volonté : “Le matin, elles attendent leur fameuse enveloppe”, raconte Elie Nahas : “Cela fait 60 ans que ça dure. Certaines d’entre elles, perçoivent jusquà 40.000 dollars [31.000 euros] pour la soirée. Ce sont les Arabes qui sont les plus généreux. Si une fille leur plait, ils peuvent débourser beaucoup d’argent. Pour reconnaître ces prostituées de grand luxe, un bon coup d’oeil suffit, comme l’avait écrit le célébrissime critique cinéma Roger Ebert (décédé) : Les prostituées sont partouzes sur la Cote d’Azur. Elles sont faciles à reconnaître : ce sont celles qui sont très très bien habillées, qui ne fument jamais, qui parlent plusieurs langues et ont de la culture”.
Pourtant, c’est bien parce qu’elle n’est jamais vraiment banale que la pute relève sans doute plus d’une mode médiatique passagère que d’un réel phénomène sociologique… le milieu libertin, de plus en plus populaire, démocratique et socialement hétérogène, n’a rien à voir avec les cercles ultra-fermés de la jet-set tropézienne, Cannoise et Monégasque qui font rêver les lecteurs de la presse people.
Je ne crois pas que Grazia et Canal+ étaient il y a 10 ans subitement devenus des militants de la liberté de se prostituer… car présenter les prostituées comme des personnes cupides, libidineuses, avides de vie facile dans la jet-set… est aussi traditionnel que les dépeindre comme des victimes absolues de la violence masculine… toutefois, les militants pour la liberté de se prostituer voudraient que l’on cesse de montrer les travailleuses du sexe, ou bien comme des victimes dépourvues du moindre libre-arbitre, ou bien comme des délinquantes qui portent délibérément atteinte aux “valeurs morales”.
Il serait temps de présenter les prostituées pour ce qu’elles sont : des personnes qui font un métier de service (de sévices aussi, les pratiques BDSM sont proposées au double ou triple des services normaux) aussi banal que beaucoup d’autres… mais on ne peut pas dire que les magazines people et les chaînes télévisées soient particulièrement tentées de les suivre dans cette voie !