Rave-UnderSex-Party…
La répétition sexuelle est l’axiomatique même de toute Rave-Undersex-Party, ce qui peut sembler être un truisme tant celle-ci frappe le non-initié dès la première vision des copulations extrêmes et débridées dans ces soirées qui rendent Has-Been les clubs échangistes “à-la-papa-maman”… Waouwww !
Répétitions mécaniques, lancinantes, sensuelles des mêmes séquences de coïts et en particulier des pénétrations multiples, calées sur un rythme mécanique, un «boom-boom-boom » martelé comme une pulsation soumise à la stricte mesure du tempo organique des sexes en mouvement…
Aussi cette répétition là, a t’elle bien mauvaise presse, que ce soit dans la vulgate de l’opinion que dans l’avis des experts en sexes libidineux que prétendent être les grands libertins sexuels…, c’est que l’UnderSex dans son mode secret, bouleverse pour une large part les prétendues valeurs issues des grandes traditions sexuelles bourgeoises et des notions corrélatives y associées, de jouissance et d’orgasme, à tel point même que le terme de “sexe délirant” semble bien plus approprié que ceux habituels pour désigner une Rave-Undersex-Party.
Le sexe est un flux homogène évolutif, un “work in progress” constitué de différentes strates orgasmiques itératives et calées ou superposées sur le même tempo sexuel entre partenaires multiples…, alors qu’en Rave-Undersex-Party, il faut bien appréhender le fait que c’est la répétition des différentes séquences sexuelles qui permet aux jouisseurs/jouisseuses d’enchainer les orgasmes et d’agencer un flux homogène de sperme à base de séquences répétitives hétérogènes ; en ce sens, la répétitivité a valeur de connexité, c’est à dire qu’elle est le fondement sine qua non sur lequel s’élaborent les connexions entre les sexes.
Contrairement à une party d’amour “à l’ancienne” créée ex-nihilo par des personnes identifiables, l’UnderSex est toujours une œuvre collective puisque les différentes positions sexuelles proviennent de séquences répétitives.
Aucun coït n’a réellement de valeur en soi car chacun ne vaut que par son potentiel à être intégré au flux des sexes, que par les possibilités que sa texture offrira aux partenaires concernés pour élaborer les connexions sexuelles avec les autres.
Un mix peut ainsi se constituer d’un mélange de sexes et tracer dès lors les grandes lignes d’un réseau impliquant une puissante connexité des sexes entre eux…, or ce qu’il faut bien voir ici, c’est que cette connexité, comme composante du phylum technoido-sexuel, prend elle-même racine dans la répétition comme base axiomatique ou substrat empirico-sexuel.
De même que pour le sexe collectif, l’ensemble des UnderSex forme une organisation réticulaire et acéphale qui dans la répétition des Rave-sex-party, génère un flux collectif permanent capable d’intégrer des éléments a priori extrinsèques tels que des groupes multi-sexuels en procédant par synergie de forces hétérogènes et prolifération rhizomorphe.
Contre la représentation dominante d’une répétition technoido-sexuelle aliénante, socialement disjonctive et “régressive“, il faut ici soutenir l’hypothèse d’une répétition sexuelle libératrice, capable d’opérer la conjonction d’agencements sexuels divers et finalement capable de recréer de la vie sur les ruines mêmes du rationalisme dont ces “enfants de la crise” ont fait leur terrain de jeu.
C’est que, la répétition sexuelle est intrinsèquement génératrice de jouissance ou comme l’a bien vu Barthes dans le plaisir du texte : “répéter à l’excès, c’est entrer dans la perte dans le zéro du signifié”…, or ce que le sémiologue désigne sous le terme de “zéro du signifié”, c’est avant tout la perte de sens inhérente à la répétition par l’abolition de la linéarité discursive.
Répéter à l’excès (mais la répétition est toujours excessive), c’est briser la linéarité ou la logique interne d’un discours (sonore, iconographique, littéraire…) pour en faire surgir non pas l’illogisme sexuel mais une autre logique plus souterraine et plus sauvage.
L’UnderSex n’est pas affaire de sens mais de puissance qui pousse la répétition jusqu’au maléfice et à l’ironie par une stratégie d’exacerbation parodique du rationalisme sexuel comme axiome décadent de nos sociétés post-industrielles.
Aussi n’est il pas innocent que dès les premières Rave-Sex-Party, les acteurs présents se soient appropriés certaines infrastructures désaffectées ; stratégie ironique de résistance par mise en abyme, singerie et détournement des différents modes du contrôle sexuel cybernétique ; même les corps des ravers-sex-party aux plus forts moments de la transe semblaient déjà mimer on ne sait quelle machine à jouir dérisoire dans une gestuelle mécanique, robotique, cyniquement désincarnée, comme si chacun d’entre eux ne cessait de se répéter intérieurement : “ils voulaient nous baiser avec leurs machines mais c’est au son de celles-ci que désormais nous jouissons tels des possédés au clair de lune“…
La répétition sexuelle appartient à l’humour et à l’ironie ; elle est par nature transgression, exception, manifestant toujours une singularité contre les particuliers soumis à la loi, un universel contre les généralités qui font loi…, avec sa gestuelle purement répétitive, l’UnderSex récupère pour son compte toute la puissance transgressive de la répétition et abolit la logique des sens (et donc de la contradiction) dans une logique de l’excès sexuel qui plutôt que de s’opposer de front à ce qu’elle nie préfère adopter une stratégie oblique d’exacerbation parodique de dérision et d’exaspération, en l’occurrence, ici, du rationalisme sexuel.
En free-rave-sex-party, ce que l’on singe, ce sont les robots “fucking-machines” et autres automates sexuels en activité, leurs mouvements stéréotypés, cadencés, opérationnels qui entraînent les sex-ravers dans des devenirs non humains, devenir-sex-machine ou devenir- sex-électro-machine consacrant les noces sexuelles de la chair et de l’électron.
Or ces devenirs sont inséparables de processus involutifs de la conscience qui, soumise à l’action combinée de la répétition des séquences de sexe et des psychotropes, est ramenée à un stade antérieur de son développement non sans analogie avec le type de développement mental.
Dans au-delà du principe de plaisir , Freud rapporte la tendance à la répétition qu’il observe dès les premières activités de la vie psychique à “un instinct primordial” de la vie organique consistant à “reproduire et rétablir un état antérieur auquel il avait été obligé de renoncer sous l’influence de forces perturbatrices”..., les balbutiements, les premiers jeux ne sont que répétitions.
Dans un sens plus démoniaque, cet instinct va pousser à répéter des situations de frustration, de peur ou d’angoisse afin d’en maîtriser la forte impression reçue, au lieu de se borner à les subir en gardant une attitude purement passive…, il n’y a pas là d’opposition au principe de plaisir, car la répétition, le fait de retrouver l’identité, sont déjà en eux-mêmes une source de plaisir.
En psychanalyse, la répétition comme automatisme spécifique à la vie psychique sexuelle (mais aussi névrotique, hystérique, mystique…) est ainsi définie comme une propriété générale des instincts qui tendrait vers une forme régressive ou “d’inertie de la vie organique”, de reproduction d’un état antérieur ou d’involution vitale.
Répéter ou donner à voir, entendre, sentir la répétition, c’est ainsi élaborer un processus mental involutif/ouvert capable de s’approprier ou sillonner les forces du chaos menaçant et d’en maîtriser les vitesses, de créer un début d’ordre ou de cosmos (du grec Kosmos : bon ordre) à même les fulgurations instantanées du chaos ; un chaosmos selon le superbe néologisme de Joyce.
Dans les free-sex-party, on peut repérer une espèce d’érotisme asexué, matricielle où chaque sex-raver ne se fond pas dans le méta-corps composé par la masse mouvante des participants sans que ce méta-corps ne se fonde selon un mode fractal dans un espace clos et courbe lové dans les interstices et les cavités souterraines du territoire invisibles à l’œil omniscient du contrôle sexuel.
La répétition entretiendrait ainsi des rapports privilégiés avec toute une symbolique du féminin, de ce qui possède la faculté d’engendrer et d’apporter protection à ce qu’elle engendre ; telles émanant d’un cœur, les pulsations technoïdo-sexuelles organisent un espace sonore rassurant qui forment un totem matriciel constituant le centre même de la free-sex-party, un lieu de regressus ad uterum collectif où la répétition sexuelle poussée à son paroxysme opère une rupture dans le temps linéaire pour introduire les sex-ravers dans un temps autre, instant éternel et présent vivant qui est aussi le temps du sacré.
C’est que selon la thèse de Hume rapportée par Deleuze dans “Différence et répétition” : la répétition ne change rien dans l’objet qui se répète mais elle change quelque chose dans l’esprit de celui qui la contemple…, autrement dit, la répétition sexuelle opère une rupture dans le mode d’appréhension classique du temps comme séquence linéaire où l’instant présent ne cesse de s’évanouir et de se distinguer d’un passé qui n’est déjà plus et d’un futur qui n’est pas encore.
Si avec Kant nous admettons que le temps n’existe pas en soi mais est une forme a priori de la sensibilité humaine, alors il faut reconnaître l’étonnante propension de cette forme à se rétracter ou au contraire à se dilater suivant l’événement observé si bien qu’il existe une distorsion entre temps physique et temps psychologique.
Comme l’écrit Klein dans un article intitulé “le Temps, son cours et sa flèche” : Le temps physique est toujours représenté comme un mince filament qui s’écoule identiquement à lui-même. Mais le temps subjectif lui se déploie en ligne brisée, entremêle des rythmes différents, des discontinuités, de sorte qu’il ressemble plutôt à un cordage tressé…, notre conscience éprouve en effet plusieurs temporalités enchevêtrées, tant par leur nature (le temps de nos sensations, celui de nos idées, de nos humeurs,…) que par leurs échelles, tout comme une corde est faite de multiples brins, eux-mêmes composés de fines et courtes fibres.
Or le vertige de la répétition sexuelle consiste en ce qu’elle opère une véritable synthèse du temps par la contraction des instants passés et l’anticipation sur les instants futurs dans la réitération mécanique des mêmes séquences de sexe, en effet, si nous prenons la séquence BOOM-BOOM-BOOM-BOOM, il faut bien voir que chaque BOOM n’est pas perçu indépendamment des autres BOOM’S en vertu des propriétés linéaires du temps physique mais perçu comme l’ensemble des autres BOOM’S en tant qu’ils sont contractés dans le BOOM présent.
Ainsi le sexe répétitif change quelque chose dans l’esprit de celui qui le pratique, à savoir la perception qu’il a du temps qui cesse de s’écouler normalement pour se condenser dans un présent vivant (Deleuze) ou un instant éternel (Maffesoli) contractant en lui les deux dimensions du passé et du futur ; ou comme le dit Deleuze : “le passé et le futur ne désignent pas des instants, distincts d’un instant supposé présent, mais les dimensions du présent lui-même en tant qu’il contracte les instants”.
Participer à une free-sex-party, c’est à dire se retrouver durant toute une nuit à baiser, c’est dès lors faire l’expérience (faut-il dire métaphysique?) d’un temps autre, d’un présent vivant de la jouissance qui est aussi bien jouissance du présent vivant…, faut-il cependant voir dans cette synthèse du temps induite par la répétition sexuelle une “hiérophanie”, c’est à dire littéralement une éclosion de sexe sacralisé qui se manifesterait à travers la perception collective de ce temps opérant comme une rupture dans le temps de la quotidienneté !
Pour l’historien Mircea Eliade, ce présent vivant de la transe sexuelle ne peut en aucun cas être assimilé au temps du sexe sacré car ce dernier doit avant toute chose être considéré comme un “temps primordial, sanctifié et susceptible d’être rendu présent par la fête”… et, ajoute-t-il d’emblée : “pour un homme, cette qualité transhumaine du temps est inaccessible, le temps ne peut présenter ni rupture, ni mystère”…
Sauvagerie et agressivité s’extériorisent ainsi à travers une gesticulation sommaire qui fait appel, surtout, à l’agitation et à la frénésie des mouvements…, sans doute s’agissait-il, chez les grecs comme ailleurs, d’exprimer ainsi la “fureur” et, par là, son caractère terrible et redoutable, en définitive, sa puissance.
C’est dans la dépense somptuaire du corps à travers le sexe (mais aussi à travers la drogue) que le possédé-sexuel s’identifie à son sexe primal, en l’imitant, en le singeant, en poussant la mimésis jusqu’à l’accomplissement de l’identification, lorsque le possédé au plus fort moment de la transe est réellement devenu l’Autre, l’éclair, le torrent, l’animal, la machine.
Baiser, c’est fluer dans l’immanence, capter les forces chtoniennes, telluriques, les forces de la Natura Genitrix peinte par Dubuffet qui se manifestent en toute forme vitale ; organique, minérale ou sexuelles…., c’est qu’à chaque free-sex-party, de nombreux néophytes ont été comme magnétisés par le cliché cérébral véhiculé par le mouvement, son éthique, sa pragmatique, son envoutante esthétique convertissant à chaque fois comme les hérésies du Moyen-Âge un nombre croissant d’adeptes qui bientôt fondèrent leur propre sex-system et devinrent membres actifs du mouvement UnderSex….
Ceci nous mène au cœur du problème de l’UnderSex ; en effet, qu’est-ce qui distingue exactement les phénomènes d’extase sexuelle des mystiques chrétiens ou Soufis de l’Islam par exemple (elles aussi induites par des mécanismes de répétition de type chants, incantations, psalmodies, exercices respiratoires…) de l’espèce de transe collective générée dans ces grandes fêtes païennes que sont les free-sex-party ?
C’est que toute forme religieuse s’inscrit dans un champ transcendantal faisant référence à un temps et un espace consacrés par les dieux, un « arrière-monde » comme disait Nietzsche, un au-delà du réel posé comme espace/temps absolu, originel et primordial auquel on ne peut accéder que par l’observance de rites définitivement fixés par la tradition.
Le temps du Sacré est un temps mythique, attesté par l’existence de mythes écrits ou oraux, de textes sacrés irréfutables…, en ce sens, les extases mystiques religieuses ne désignent rien d’autre que ce mouvement transcendantal par lequel s’effectue l’immersion de l’extatique dans l’espace/temps absolu et primordial du Divin et l’arrachement corrélatif au monde profane de la Nature et des hommes.
Or dans la transe technoïdo-sexuelle, le mouvement n’est pas transcendantal mais purement immanent ; aucun arrière monde invoqué car il s’agit plutôt de s’ouvrir à ce monde-ci, de se fondre dans la matière même du corps qui se fait la chambre d’échos instantanée des vibrations du sexe.
Pour reprendre la distinction établie par Rouget dans son travail sur la musique et la transe entre transes identificatoires, c’est à dire transes de possession par identification du possédé avec l’Esprit possesseur et transes non identificatoires comme les transes d’inspiration et de communion spécifiques aux trois grands monothéismes (Judaïsme, Christianisme, Islam) qui ne peuvent admettre aucune sorte d’identification avec Dieu…, le type de transe collective générée en free-sex-party est bien une transe de possession par un processus d’identification avec un Esprit sexuel mais qui contrairement à celles rapportées par Rouget n’est pas possession par un esprit nommé et reconnu de l’ordre du Sacré immanent mais par une entité machinique profano-sexuelle qui bien que non consciemment identifiée n’en a pas moins, nous en faisons l’hypothèse, une présence réelle au même titre que celle des esprits de l’animisme primitif dans les strates inconscientes des adeptes du mouvement UnderSex.
On définira cette entité machinique comme l’Esprit des technologies sexuelles, soit l’ensemble des caractères immanents aux “Fucking-machines” composant l’environnement cybernético-sexuel occidental et en particulier “les Fucking-machines de troisième espèce” comme les ordinateurs et les machines électro-sexuelles spécifiques.
La liste de ces caractères, il faudrait en dresser la liste ; leur froide opérationnalité, leur réticularité ou rhizomorphisme, la répétitivité compulsive de leurs procès opératoires, leur extrême sensibilité aux agressions externes de type brouillage ou introduction de virus, etc…, ces caractères sont innombrables, comme le sont ceux de Xango, dieu de la foudre ou de Yémanja, déesse des eaux douces et salées dans la pratique du candomblé de Bahia au Brésil étudié par Bastide ou encore comme peuvent l’être ceux de la tarentule dans les phénomènes de transes de possession tarentulaires d’Italie du sud.
Comme le dit Rouget, la possession sexuelle désigne essentiellement “l’envahissement du champ de la conscience par l’autre, c’est à dire par quelqu’un venu d’ailleurs“.., la foudre, les eaux, la tarentule ou la Fucking-machine ont ceci de commun qu’ils représentent toujours l’Autre pour leurs divers adeptes/possédés, cet Autre avec lequel ils s’identifient dans l’espace/temps de la transe de possession sexuelle pour le séduire, en conjurer le maléfice et s’en approprier les forces.
“Dans la danse de possession” écrit Rouget évoquant le phénomène de mania décrit par Platon dans la Grèce antique : “Sauvagerie et agressivité s’extériorisent ainsi à travers une gesticulation sommaire qui fait appel, surtout, à l’agitation et à la frénésie des mouvements. Sans doute s’agissait-il, chez les grecs comme ailleurs, d’exprimer ainsi la «fureur» du dieu et, par là, son caractère terrible et redoutable. En définitive, sa puissance”...
Je me répète, mais c’est important, c’est dans la dépense somptuaire du corps à travers le sexe (mais aussi à travers la drogue) que le possédé s’identifie à son dieu ou Esprit, en l’imitant, en le singeant, en poussant la mimésis jusqu’à l’accomplissement de l’identification, lorsque le possédé au plus fort moment de la transe sexuelle est réellement devenu l’Autre, l’éclair, le torrent, l’animal, la fucking-machine.
Et j’ajoute à nouveau que baiser, c’est fluer dans l’immanence, capter dans le piétinement des sexes, les forces chtoniennes, telluriques, les forces de la Natura Genitrix peinte par Dubuffet qui se manifestent en toute forme vitale ; organique, minérale ou technologique.
Comme l‘a bien vu Maffesoli : “la régularité sexuelle, par sa vitesse même, procure une sensation d’arrêt. Elle donne une impression de stabilité dans le mouvement. Et il n’est pas neutre à cet égard qu’une des jouissances consiste à avaler foutre et spermes, symbole s’il en est du désir de s’établir dans les corps. Arrêter le temps qui passe, porteur de nos angoisses, tout en mettant en scène les figures monstrueuses des rêves infinis, voilà bien un paradoxe significatif,
celui d’un enracinement dynamique”…
Bien loin de transporter dans un improbable futur, l’UnderSex use et abuse de la répétition pour enraciner ses adeptes possédés dans le présent, donner à jouir de l’infini de l’instant qui d’ordinaire nous échappe en faisant de la free-sex-party l’expérimentation concrète et collective de ce que Spinoza, le philosophe de l’immanence, appelait “sentir et faire l’épreuve que nous sommes éternels” …
La prise de drogues s’inscrit également dans cette expérience de possession machinique dans la mesure où comme n’a pas manqué de le noter ce grand expérimentateur que fut Michaux, la mescaline (un puissant hallucinogène aux effets comparables au LSD) produit un effet de clignotement de l’existence et en particulier des images mentales produites par le cerveau.
Dans “Misérable miracle”, il écrit : “Espace qui regorge, espace de gestation, de transformation, de multiplication et dont le grouillement même s’il n’était qu’une illusion rendrait mieux compte que notre vue ordinaire de ce qu’est le Cosmos. Moyen rapide, unique (quoique les malades d’infini le trouvent dans toutes les drogues) d’entrer en communication avec l’infini corporel. Ce stellaire intérieur est si surprenant, et si précipités sont ses mouvements, qu’il n’est pas reconnu comme tel. La répétition (elle aussi créant des symétries) est autrement curieuse. Pas question naturellement de figures répétées trois ou quatre fois. Une répétition ici n’existe pas en dessous de cent, et encore la dernière n’en est que la fin provisoire, jusqu’à ce que vous l’observiez, alors elle se répète aussitôt, deux, trois, quatre cent fois”…
Les psychotropes synthétisent un espace mental de pullulations et multiplications où chaque image ne se forme pas sans être elle-même démultipliée à l’infini. Ainsi le “trip psychédélique” est-il un voyage au cœur de l’univers itératif de la pensée qui affranchie des lois de la causalité ne parvient plus à produire de sens et n’opère plus que par association instantanée.
Tous les dessins réalisés par Michaux en rapport avec la mescaline ne se constituent que de formes effilées, d’amas de lignes, de zigzags et d’ondulations infiniment répétées, comme si la drogue était beaucoup moins capable de créer les images que de les démultiplier dans une espèce d’inertie ou de redondance compulsive.
Aussi ne s’étonnera t’on pas que les créations iconographiques issues du milieu UnderSex se constituent exclusivement de motifs “fractals”, de formes géométriques le plus souvent en noir et blanc répétées les unes dans les autres de manière symétrique comme on peut le voir dans l’ensemble des mixages vidéos projetés sur grand écran en free-sex-party ; une esthétique répétitive, martiale et iconoclaste pour machine de guerre technoido-sexuelle…
En ce sens, il faut reconnaître cette (dangereuse) propension générale des drogues à ouvrir l’esprit à la perception d’une sorte d’Infini, d’un Tout dans lequel les drogues dissolvent le Sujet, son identité, par l’altération purement chimique de son état de conscience, c’est “l’infini turbulent” de Michaux, mais aussi “l’Illimité” chez Artaud dans “le voyage au pays des Tarahumara”, la perception sacrée de puissances ataviques qui marque aussi la défaite d’un certain modèle rationaliste à l’occidentale, son “impuissance à faire vibrer” les masses (Pasolini) sinon par la terreur d’une froide inertie, ce nihilisme qu’avait prophétisé Nietzsche pour l’Europe dans “les deux prochains siècles”.
Il y a en free-sex-party une profonde équivalence entre le sexe et les “prods” ( produits, drogues en argot ) dans la mesure ou comme le peyotl chez les Tarahumaras permet de retrouver la perception de l’Illimité…, les psychotropes tel un philtre permettent d’accéder à l’Infini que recèle en puissance les pulsations isochrones et mille fois répétées de la fucking-machine.
Ainsi, si l’UnderSex n’a pas de sens, en revanche il a une fonction : combiner son action avec celle des psychotropes ingérés mais aussi celle des flux de lumière stroboscopique, des caresses anonymes des corps qui se frôlent dans la pénombre, des effluves et parfums d’herbe, de sueur et de gas-oil pour former un complexe d’hyperstimulation sensitif qui tel une cage sensorielle provoque un phénomène d’hyperesthésie simultanée des corps qui fusionnent alors pour ne plus former qu’une seule masse homogène vibrante, mouvante, synchrone, capable de capter en cadence les mouvements invisibles de l’Esprit des technologies sexuelles, réagissant d’une seule voix et d’un seul corps à ses douceurs et ses fureurs.
Logique sociale de la répétition : On doit à Gabriel Tarde d’avoir fondé toute une sociologie de la répétition en rapportant l’ensemble des phénomènes sociaux (et plus particulièrement ceux que l’on pourrait appeler les mouvements) à des ondes imitatives et contre-imitatives propagées à partir de foyers d’invention eux-mêmes constitués comme nœuds de conjugaison/connexion de ces mêmes ondes.
En ce sens, l’imitation est bien répétition ou comme le disait un commentateur de Tarde : “le mouvement par lequel quelque chose se répète et, se répétant, se propage en formant une onde magnétisant les esprits au fil de sa propagation”.
Ce que veut la chose sociale avant tout, comme la chose vitale, c’est se propager et non s’organiser, l’organisation n’est qu’un moyen dont la propagation, dont la répétition générative ou imitative est le but, or ce qui se répète par imitation consciente ou inconsciente, volontaire ou forcée, par imitation-coutume ou par imitation-mode, ce sont les quantités variables de croyance et de désir investies dans telle ou telle invention, quantités conjointes constituant l’onde ou flux d’imitation qui va se propager jusqu’à ce qu’une invention concurrente ou contre-imitative en modifie les quantités initiales pour la transformer ou encore la remplacer.
Ainsi écrit Tarde, “il n’y a dans les fluctuations ondoyantes de l’histoire que des additions ou des soustractions perpétuelles de quantités de foi ou de quantités de désir qui, soulevées par des découvertes, s’ajoutent ou se neutralisent, comme des ondes qui interfèrent”.
Or mêmes ces découvertes ou inventions telles que les multiples innovations dans des domaines aussi variés que la socialité, le langage, la religion, la politique, le droit, l’industrie, l’art résultent encore du jeu croisé de la répétition universelle en ce sens qu’elles sont toujours le fruit plus ou moins volontaire de la rencontre de plusieurs ondes imitatives, de leurs connexions et interactions réciproques.
Ainsi, c’est toute une microsociologie de la détermination des deux forces sociales élémentaires que sont la croyance et le désir que fonde Tarde en s’opposant vigoureusement à la conception sociologique durkheimienne qui ne voit dans tout fait social qu’une chose se caractérisant par le pouvoir de coercition externe qu’elle exerce sur les individus, fondement théorique qui présente le fort désavantage de ne pas prendre en compte les puissants investissements de croyance et de désir qui font de la créature sociale non pas seulement un être passif subissant toute une gamme de pressions issues du kaléidoscope social dans lequel elle évolue mais aussi une créature qui croit et désire, s’oppose aux différentes pressions par contre-imitation et invente parfois de nouveaux procédés qui vont jusqu’à ébranler les édifices dogmatiques de toute nature qui la maintenaient jusqu’ici sous leurs jougs.
C’est que comme l’ont bien vu Deleuze et Guattari dans les splendides mille plateaux, la différence n’est pas à situer comme le fait Durkheim entre le Social et l’Individuel psychologique mais entre le domaine des représentations collectives et individuelles et le domaine moléculaire des croyances et des désirs qui n’est ni à proprement parler Social au sens durkheimien, ni individuel ou inter psychologique puisque l’onde imitative préexiste aux agents imitateurs qu’elle magnétise successivement.
Ainsi en est-il du mouvement UnderSex (et de bon nombre de mouvements issus de la déferlante 80’s et 90’s) qui s’est propagé en une dizaine d’années par contagion imitative des squats et friches londoniens jusque dans toute l’Europe occidentale, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, la Tchéchoslovaquie, etc…, c’est qu’à chaque free-sex-party, de nombreux néophytes ont été comme magnétisés par le cliché cérébral véhiculé par le mouvement, son éthique, sa pragmatique, son envoutante esthétique convertissant à chaque fois comme les hérésies du Moyen-Âge un nombre croissant d’adeptes qui bientôt fondèrent leur propre sex-system et devinrent membres actifs du mouvement, ou simple sex-raver.
Car à chaque fois, le cliché cérébral qui pour le mouvement correspond sans aucun doute à l’image mythique du réfractaire à toute forme de travail salarié errant de free party en teknisex, ce cliché est comme diffracté en une infinité d’exemplaires impliquant à chaque fois une infinité de microvariations qui au fur et à mesure de sa reproduction des différents cerveaux exposés va se transformer progressivement, entrer dans des processus de mutation interne, s’adapter en fonction des milieux nationaux, régionaux, socio-économiques dans lesquels il va se propager.
Dès lors, on va trouver un UnderSex anglais, français, italien, tchèque, mais aussi un UnderSex breton, sudiste ou parisien qui correspondront à chaque fois à des formes différentes de mutation du cliché sexuel-cérébral originel qui bien loin de se propager de manière homogène, continue et régulière ne cesse de procéder à des adaptations internes, à des bifurcations, à des mises en binarité de flux moléculaires pour faire de la répétition sociale qu’est l’Imitation ; non pas une répétition du Même mais une répétition différenciante, une répétition ayant la différence pour objet et la différenciation pour fonction…
En ce sens bien particulier que lui donne Tarde, l’Imitation se distingue de son acception courante connotée péjorativement puisqu’elle devient dès lors imitation créatrice ; mais créatrice de quoi ?
De différences pures, de singularités évènementielles, de puissants devenirs (voir les devenir-Fucking-machine, devenir-électro-sexe dans lesquels sont emportés les sex-ravers ), d’une multiplicité de formes hybrides de résistance au contrôle qui sont aussi bien sociales qu’artistiques, économiques, éthiques prises dans des processus dynamiques de mutation intrinsèque capables de régénérer à chaque instant le réseau qui les a produit…