Suite dans 20 ans…
12h30…
“De façon ponctuelle, www.GatsbyOnline.com se pose modestement en observatoire de la connerie et la crasse intrinsèques à la race humaine. Pour résumer la chose, l’humain est une charogne qui bousille tout ce qui l’entoure sans raison, s’imprègne de croyances débiles au gré des modes et des saisons… et accessoirement baise avec des poupées en silicone, non seulement parce que ça coûte moins cher à entretenir en cadeaux que son alter égo organique…, mais aussi parce que ça débite moins d’insanités à la minute. Si on ajoute à cela que son esprit pervers mais hautement commercial l’incite à faire coucher des playmates avec des poneys parce qu’il existe un public friand de zoophilie qui se convertit donc automatiquement en une cible marketo-commerciale…, on est en droit de se demander si le fait que l’Homo sapiens ait eu des relations sexuelles avec l’Homo neanderthalensis est bien surprenant. Pour ceux qui galéreraient avec le latin et auraient eu un léger doute à la lecture de la phrase précédente, le postulat est clair : l’espèce humaine moderne et l’homme de Neandertal partouzaient ensemble”…
12h34…
Les quatre pétasses à côté de moi sont ivres et n’ont pas écouté mon baratin.
Elles sont manifestement heureuses d’être bourrées et enchaînent les reprises de Britney Spears a cappella.
De toute façon ce rade est aussi miteux que les crasseux qui lui servent d’occupants.
Depuis trois ou quatre minutes déjà, le gros porc au bout du bar m’observe d’un oeil clairement hostile.
Je n’en ai strictement rien à carrer et le lui fait bien comprendre, le regard dédaigneux.
Il n’est que deux heures du mat et ça fait déjà bien huit ou dix heures que je suis bourré.
Un mec me taxe une garbiche.
Je lui dit poliment d’aller se faire enculer mais ce boulet n’en a que faire et tient absolument à m’expliquer pourquoi il aimerait coucher avec Johnny Halliday jeune.
Progressivement sa voix de fiotte se perd dans l’espace, dans le temps aussi… et me voilà irrémédiablement en train de mater l’énorme paire de seins de la nana un peu grassouillette assise sur le tabouret à cinquante centimètres de moi.
Mes pensées déliquescentes se dissolvent entre ses seins et voilà que je me remémore le corps et la tronche de cette portugaise à peine majeure, lamentablement échouée sur mon matelas quelques semaines auparavant, qui n’avait jamais dû s’épiler la chatte de sa vie.
Cette sale pensée est pourtant rapidement balayée par le sourire de ma voisine qui ne chante plus et me regarde désormais.
Je lui demande ce qu’elle boit sachant pertinemment qu’elle va me prier de lui payer son énième vodka-fraise de la soirée, boisson emblématique d’une époque où on ne cesse de tout adoucir comme pour mieux avaler une pilule dont personne n’a plus rien à foutre.
Elle me raconte quelques banalités, les joies du salariat, pendant que je continue à mater les deux oranges bien fermes qui lui servent de seins.
Sa copine brune, la seule des quatre à ne pas être blonde, m’excite dix fois plus, mais ne daigne pas m’adresser un putain de regard.
La discussion est insipide.
Le gros porc du bout de bar se lève à cet instant précis, bouscule mon tabouret en passant mais à mon grand étonnement ne me claque pas son poing dans la gueule pour quelques obscures raisons.
Ma voisine, qui s’est finalement désintéressée de moi, sans doute aussi bien en raison de mon discours décousu que de ma prononciation pâteuse, rigole de nouveau à gorge déployée avec ses trois dindes de copines.
Je sais désormais que je n’en fourrerai aucune des quatre.
Pris d’un excès de colère et d’un dégoût manifeste de moi-même, je lâche un glaviot à la gueule de la brune.
Les hurlements haineux de ma victime à mon encontre, me paraissent déjà à des années lumières alors que je suis misérablement éclaté, les rotules encastrées dans le bitume parisien à vomir un liquide noirâtre et pétillant entre deux grosses allemandes dont les bourgeois sont si friands.
Je hurle ma haine de ce monde et en appelle au gros porc pour lui faire ravaler sa graisse.
Je n’obtiens pour seule réponse que les injonctions d’un clodo m’intimant de fermer ma gueule.
13h12…
Je suis parti…
J’étais parti…, non, plutôt elle m’avait laissé.
Enfin non.
Elle allait partir si je ne concédais pas les efforts voulus.
Bien sûr je n’allais pas changer.
J’étais donc parti en sachant qu’elle m’aurait de toute façon quitté tôt ou tard.
Depuis cet épisode qui avait entraîné la disjonction de nos âmes, le monde n’avait cessé de se dérober à moi.
J’avais erré dans les rues d’une première, puis d’une seconde ville, dormant ça et là, au gré des propositions de toits.
Je restais souvent une semaine au même endroit, parfois deux, certaines fois chez des amis et d’autres chez des conquêtes.
J’ai beau parler d’unités temporelles, la vérité est que j’avais perdu toute prise tangible avec la réalité.
Ma réalité, elle, n’était qu’une partition mal inspirée sur laquelle s’écrivait sans conviction quelques notes nostalgiques, tristes et trébuchantes rythmées au son de ma déchéance mentale.
Je l’imaginais tantôt avec un autre riant dans des lieux où l’on avait nous-même ri un jour, tantôt en train de se faire souiller dans les draps où l’on avait passionnément fait l’amour des mois auparavant… et puis parfois, je la visualisais seule aussi, sereine, libérée de tous les tourments que ma folie avait dû lui faire endurer et qu’elle avait encaissé tant bien que mal comme savent si bien le faire ces filles aimantes et bafouées qui se contentent de ne pas avoir connu mieux.
Quotidiennement pourtant, selon un rituel cadencé, implacable, quasi-diabolique en fait, les pupilles meurtries au fond des mes yeux se dilataient une fois la nuit tombée, quelques instants après le signal sonore coïncidant avec le bouchon de liège qui sort de la bouteille.
Tout souvenir de ces journées maussades disparaissait alors au fur et à mesure que le vin coulait et venait maculer ce verre devenu appendice de ma main.
Quatre, cinq, ou même six fois par semaine, se répétait le même scénario monotone.
Les flots et les effluves d’alcool.
Les mêmes discussions exaltées ressassant tour à tour le talent de quelques écrivains, les bienfaits de la pratique quotidienne de l’amour voire encore l’imbécillité du Français moyen à l’heure d’élire les blaireaux qui feraient office de moteurs de la nation.
Immuablement, la teneur des discussions restait, seuls changeaient les interlocuteurs.
J’en vins à la conclusion que mon salut mental passait incontestablement par la suppression de toute pensée… et accessoirement par une diminution drastique de ma consommation quotidienne de vin rouge.
Inconsciemment, j’essayais de compenser le manque d’alcool en arpentant les rues de la rive droite, constamment noyé sous des flots de réflexions insignifiantes et naïves sur l’importance de l’amour dans nos vies.
Je me surpris à plusieurs reprises m’imaginant foutre un coup de savate et balancer dans la flotte un de ces couples d’amoureux “à la mord moi le nœud” se tenant la main le long du canal Saint-Martin.
L’amour me répugnait.
13h48…
En finale de ma rêvasserie mollassonne dignes d’un adolescent amoureux mais abandonné, je vis un mec se saborder sans raison.
Il devait avoir un truc comme vingt-cinq ans.
Il était grand et mince, vêtu d’un pantalon et d’une chemise de bonne qualité, une veste de costard noire nonchalamment posée sur l’épaule.
Malgré son visage ingrat et son nez tordu, l’ensemble de son être dégageait une indéniable harmonie qui devait plaire à certaines femmes.
Je l’imaginais parfaitement avec une de ces grues que l’on croise habituellement le matin aux alentours de huit ou neuf heures et le soir vers dix-neuf ou vingt heures sur la ligne une du métro parisien.
Ah oui, ça, on les reconnait ces pintades qui sortent de leur cage de verre de la Défense pour rentrer chez elles se morfondre sur le non-sens de leur non-existence.
Il était là, hagard, déambulant sans logique au milieu du boulevard de la République, invectivant mollement les quelques conducteurs lui ordonnant de bouger son tas de graisse de l’asphalte.
Rapidement, deux agents de police intervinrent pour le déloger.
La situation était globalement calme.
L’homme regagna le trottoir en compagnie des deux agents disposés à le fouiller.
Au moment de passer entre deux voitures garées le long de la chaussée, il se saisit d’une lame, sans doute au fond de sa poche, et déchira littéralement de haut en bas le dos du flic qui le précédait, accompagnant son geste du cri le plus strident qu’il ne m’ait jamais été donné d’entendre.
Tout fut ensuite d’une limpidité extrême.
Il se fit éclater la gueule, une balle seulement, par le calibre du second flic, blême, la bave aux lèvres mais déterminé.
Le jeune homme tomba raide mort et s’encastra la gueule dans le capot d’une caisse blanche.
Le flic pris d’une violente crise de panique tenta tant bien que mal de se servir de son talkie pour communiquer avec sa hiérarchie.
Sans succès.
La vie s’était arrêtée.
On entendait les gazouillis des moineaux qui peuplent les arbres le long du boulevard Richard Lenoir.
La jeune fille à côté, bien plus choquée que moi par la succession d’événements, s’écroula dans le caniveau et brisa la quiétude sonore qui enlaçait l’espace en raclant bruyamment sa glotte avant de dégueuler comme une merde sur les roues de la voiture blanche maculée de sang sur laquelle gisait le corps d’un de ces milliers de fous qui déambulent en liberté dans Paris.
15h30…
Quelle salope.
On sortait de l’assos et il a fallu que cette pute me renvoie à la gueule ma condition d’alcoolique dépravé.
Qu’est-ce que ça peut bien lui foutre à celle-là ?
T’es qu’une merde elle m’a dit.
Comme toi, je lui ai répondu.
Le truc qu’elle ne comprend pas cette pétasse, c’est que je n’en ai strictement rien à branler.
Aucun de ces petits connards bourrés de bonnes intentions n’enlèvera jamais cette alchimie qui rend le quotidien un peu supportable.
Avec l’intention ferme de se démonter la gueule, on a embrayé en direction de chez Pichtoune.
Patrick a payé la première rasade de ballons de rouge.
Il a beau être RMIste, ce gars là n’est pas le dernier des salauds dans ce trou de merde.
17h26…
Monique, tout juste au sortir au lit à cause de la même sale cuite que tous les soirs, est venue nous rejoindre.
Faut être honnête, on forme une belle paire de sacs à vin.
D’ailleurs, ça fait pitié à dire, mais on sait très bien l’un comme l’autre que si on n’était pas des poivrots, on n’aurait rien à foutre ensemble.
J’ai tenté lui mettre une main au cul en guise de salutation.
Raté.
J’ai eu juste eu le droit à une tape hostile sur le bras, une de ces marques de non affection qui fait mal comme un coup de bague sur un os, en même temps qu’un relent de chiottes crasseuses se confondait avec un grommellement émanant de la cavité qui lui sert de bouche.
Le Patrick ça l’a fait marrer ça.
La bouteille et demie de pinard que je m’étais déjà sifflé me fila grandement l’envie de lui en coller une pour voir s’il rigolerait toujours autant.
Mais on ne frappe pas un mec qui invite.
C’est l’alcool qui fait faire ce genre de conneries.
Le mec qui invite, on le méprise si on veut, mais ce gars là, on respecte sa générosité.
18h31…
Le rouge c’est pour les tarlouzes alors on est passé au jaune.
Gisèle, la voisine de Patrick qu’il se farcit de temps en temps, quand il n’est pas trop cuit, est venue nous rejoindre.
Je ne comprends pas pourquoi elle traine avec des sous-merdes comme nous.
Cette nana, elle a lu des livres, Zola et des trucs comme ça je crois.
Elle a fait des études après son bac et au final, elle est là tous les jours, avec ses robes à fleurs de grand-mère et ses bourrelets à se pochtronner la gueule avec des branleurs dans notre genre.
Trois mecs, la cinquantaine passée ou en passe de l’être…,, assis à une table derrière nous ont commencé à gueuler des conneries, des histoires de vaccins contre la grippe A avec des puces électroniques pour contrôler les gens.
C’étaient des ouvriers dans le bâtiment ou un truc du genre.
Le plus gros des trois, un Portugais à moustache, n’était pas d’accord avec les deux autres crevards.
Tout ce petit monde semblait pourtant s’accorder quand il s’agissait de mater le gros de cul de Gisèle.
On a continué à boire des pastis pendant une heure au moins, puis je me souviens qu’un des mecs a foutu du Berger sur le jukebox.
On commençait à être sérieusement ivre mort.
Gisèle faisait son petit numéro de séduction au grand maigre, Patrick parlait en souriant à l’oreille de Monique.
Moi, je continuais à ingérer du liquide.
20h13…
Patrick avait cramé toute la thune qu’il avait en poche et ce n’est pas cette rapace de Monique qui allait continuer à rincer.
Alors on est partis du bar.
Tout le long du chemin asphalté nous menant à la baraque de Patrick, il avait fallu supporter Gisèle paradant comme une catin devant le maigre qui avait suivi.
Patrick semblait totalement passif, subissant simplement le manège de séduction qui se déroulait sous yeux.
Absent, les yeux fuyants et embués par l’alcool, ses rares moments de reconnexion avec la réalité se traduisaient par quelques attentions naturelles et autres sourires.
Adressés à Monique bien entendu.
Arrivés rue de la rédemption, Gisèle nous faussa compagnie pour rejoindre son foyer.
Le maigre s’engouffra à son tour dans la fente de la maison, prélude d’une autre pénétration à venir.
La petite maison de Patrick, que j’avais, selon ses dires, déjà eu l’occasion de fouler à l’occasion d’un soir dont j’ai oublié l’existence, tenait du taudis.
L’odeur rance d’alcool et de linge crasseux sembla plaire instantanément à cette salope de Monique, jamais la dernière à se complaire dans la fange.
20h32…
Une demi-heure avait suffit à couler la bouteille en plastique de piquette que Patrick avait mis au frais quelques heures auparavant, à son retour de la supérette.
Les échanges de regards se multipliaient de manière incessante entre Monique et lui.
Des regards insoutenables.
Pourtant, c’est aussi dans ce contexte qu’émergea une complicité entre Monique et moi que nous n’avions jamais connue.
Je contemplais Monique avec fougue.
Patrick caressait la même femme du regard, mais avec énormément de tendresse.
Monique au centre de ce trio infernal semblait en tirer une satisfaction infinie.
Son iris scintillait d’une manière absolument anormale, comme peuvent le faire les machines sur une chaine de production qui s’emballent quelques instants avant de passer définitivement le cap de non-retour.
Patrick, trop ivre et distrait, ne se rendait pas compte de la flamme infernale qui s’apprêtait à consumer le trio éphémère que nous formions.
L’espace-temps qui aurait pu permettre un retour en arrière encore possible venait de se refermer subitement.
Je m’absentai quelques instants pour me rendre dans la cuisine.
20H45…
A mon retour, Monique et Patrick, m’offrant la vision de leurs deux dos, vautrés sur le sofa miteux en toile, s’embrassaient violemment.
Monique enfonçait ardemment ses ongles dans l’épaule d’un Patrick qui grognait littéralement de bonheur.
La lame de quatre centimètres d’épaisseur pénétra dans le bas de son cou relâché et vint déchirer complètement la chair de ce coq impertinent.
Cet enculé de Patrick hurla jusqu’à la mort, payant les conséquences d’un amour avorté.
Telle une carpe d’élevage qui ne connaitra jamais l’honneur d’être pêchée en compétition, il flottait sur le dos, dans une mare de sang noire comme la colère qui m’habitait.
Monique me jeta alors un regard d’une intensité jamais égalée par le passé, scellant le zénith d’une complicité qui n’atteindrait jamais plus ce point culminant.
21H34…
Patrick, encore vivant mais plongé dans les ténèbres de l’inconscience, avait glissé du canapé et gisait désormais au sol.
Monique, habitée d’une passion que je croyais impossible chez elle, lui avait arraché les yeux à l’aide d’une cuillère à soupe une vingtaine de minutes plus tôt alors que j’avais déjà pris le soin d’égorger la bête, exactement comme dans ces vidéos d’otages qu’on avait un jour regardé sur l’ordinateur.
Son intestin… et toute la merde qui se balade dans nos entrailles, jonchaient le tapis qui recouvrait la majeure partie de son petit salon.
Monique, dans un état d’exaltation proche de la folie, le défroqua alors, et trancha son sexe inerte, à l’aide du couteau avant de le brandir telle une petite fille émue par l’obtention de sa première médaille de gymnastique.
A cet instant précis, elle relâcha la bite de Patrick sur sol et me prit au creux de ses bras.
Nous nous embrassâmes longuement, la sensation que cela dura des heures, une communion absolue, sachant pertinemment que ce premier projet que nous venions de mener à bien après des années de relation serait probablement aussi le dernier.
Balbutiant, ivres d’alcool et de bonheur, je saisis le téléphone posé sur la petite commode en bois située dans le coin du salon pour composer machinalement le numéro de la police.
Hagards et couverts de fluides poisseux, nous quittâmes finalement les lieux pour regagner notre appartement.
Nous avions réalisé quelque chose ensemble.
C’est Gisèle, horrifiée, qui découvrit le corps vers une heure du matin.
Suite dans 20 ans…