Inca Kola, le soda fou qui rend fou…
La preuve est là…, ces Incas du pérou dévalent la pente en double sens…
L’Inca Kola qu’ils ingurgitent quotidiennement y est pour beaucoup !
L’Inca Kola, c’est quoi ?
Une couleur pisseuse et un goût de chewing-gum.
Ils sont nombreux à le penser, sauf au Pérou…
En avril 1999, Douglas Ivester, président du directoire de The Coca-Cola Company, fraîchement arrivé à Lima, dut goûter en public le soda préféré des Péruviens.
Interview de rigueur.
La presse attendait la gorgée décisive.
Il ne l’a pas dit, mais il l’a peut-être pensé : Bééééérrkkkkkk !
La boisson gazeuse la plus bue au monde au nom d’un produit de consommation local (Coke… la vie a de ses curiosités !), avait été battue, loin de chez elle, par une inconnue d’ailleurs, mais très connue au Pérou !…
Ce toast (inmangeable, faut-il le préciser), était un aveu de défaite : Coca-Cola ne pouvant pas vaincre Inca Kola, il sortit son portefeuille et racheta son concurrent.
Le géant qui a laminé Pepsi aux Etats-Unis, qui affiche plus de 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an, qui sponsorise en exclusivité la Coupe du monde de football et les JO, qui distribue des bouteilles étiquetées dans plus de 80 langues, qui a failli racheter American Express, n’a jamais réussi à conquérir les papilles d’un pays du tiers-monde nommé Pérou.
Le lendemain, à la une des journaux, on pouvait lire : “Le président de Coca-Cola trinque avec de l’Inca Kola“…
Goliath s’agenouillant devant David après avoir reçu la pierre en plein front.
Le géant maquilla bien sa blessure.
Douglas Ivester avala son Inca Kola avec un grand sourire : le goût sucré de la défaite.
Sucré ?
“Trop mauvais…, cette boisson est atroce, je n’aime pas“, a répondu Jean-Claude Laval, un Français du Pérou, à l’une des questions que je lui ai posé sur Internet.
“It’s bubble gum. How do you like that thing ?” a craché Ingrid Strauss, dégoûtée, d’Allemagne.
“Un oiseau rare, du fait de sa couleur et de son goût indéfinissables“, écrivait le Catalan Oscar del Alamo dans son étude “La formule magique d’Inca Kola“, réalisée pour l’Institut international de gouvernance de Catalogne [un centre de recherche sur la gouvernance et le développement humain].
Mais cet “uncommon Cola“, sur lequel met en garde le guide de voyage South America, publié aux Etats-Unis, est le soda préféré de 51 % des Péruviens.
Coca-Cola arrive comme toujours derrière, avec 39 % de parts de marché.
Quelques années auparavant, la chaîne de restauration rapide McDonald’s avait divorcé de son éternel conjoint, apportant ainsi la preuve que le Pérou n’avait d’yeux que pour un seul soda.
On vit se former le couple Big Mac-Inca Kola.
On était à l’aube des années 1990, et les chifas (restaurants qui servent de la cuisine sino-péruvienne, la plus répandue à Lima), durent résilier leurs contrats d’exclusivité en prévision de la déferlante jaune.
C’est en 1997 que Coca-Cola commence à négocier le rachat de son vainqueur.
Il fallait faire vite.
La famille Lindley, propriétaire d’Inca Kola, avait déjà reçu des propositions de Cervecerias Unidas SA, le plus grand brasseur du Chili, ainsi que du groupe vénézuélien Polar.
Le grand manitou de Coca dut ainsi débourser 200 millions de dollars pour s’emparer de 50 % d’Inca Kola et célébrer sa propre défaite.
Ensuite, il y eut le toast (inmangeable, je le re-précise) : “Inca Kola est un trésor péruvien, ses perspectives sur le marché international nous paraissent excellentes“, déclara Mister oliath, faisant l’éloge de David.
Mais plusieurs années ont passé, et le Pérou est le seul pays du monde où Coca-Cola n’a pas réussi à s’imposer.
La population locale lui préfère définitivement une boisson jaune fluo au goût douceâtre.
Ce que Douglas Ivester ne savait pas, c’est que, pour exporter l’Inca Kola, il faut d’abord exporter les saveurs excessives du Pérou.
Au troisième étage du Wa Lok, le plus grand chifa de Lima, un groupe de serveurs chantent à un client : Joyeux Anniversaire… en chinois.
La patronne, Liliana Com, descendante de Chinois, saisit son téléphone portable et demande en chinois à l’un de ses employés quelle est la boisson qui se vend le mieux dans le restaurant.
Affiches de dragons.
Nappes rouges.
Arôme douceâtre du kam lu wantan [un des plats les plus populaires de la cuisine sino-péruvienne].
On en oublierait presque que nous sommes à Lima, en plein quartier Miraflores, sous ce même ciel qui avait séduit Herman Melville.
On l’oublierait, sans ce jaune pétillant que les serveurs s’empressent d’apporter à toutes les tables.
“Sept verres d’Inca Kola pour trois d’un autre soda“…
Com traduit à mon attention la réponse que vient de lui donner son employé.
Sur le territoire du chifa, le Coca-Cola est un étranger.
Liliana Com indique alors la table qu’a occupée l’un de ses visiteurs les plus illustres : “le chanteur espagnol Joaquin Sabina a mangé ici, bien sûr, il n’a pas voulu d’Inca Kola et a préféré une bière“…
“Ils sont fous, ces étrangers, moi, je les comprends, ils ne sont pas habitués à son goût“, fait valoir la publicitaire de l’agence Properû, qui s’est occupée du budget Inca Kola pendant vingt ans.
C’était l’âge d’or.
Publicités à la radio, à la télévision, dans les journaux, sur les affiches : l’Inca Kola accompagnait toujours un plat.
Inca Kola et cebiche [poisson ou fruits de mer crus marinés dans du citron vert].
Inca Kola et bmo saltado [émincé de filet de bœuf aux tomates, oignons, coriandre fraîche et piment].
Inca Kola et arroz con polio [riz au poulet parfumé à la coriandre].
Inca Kola et seco confrejoles [ragoût aux haricots].
“L’association /wca-chifa s’est faite plus tard, c’est un phénomène qu’on n’avait pas vu venir et qu’on a dû prendre en compte“, se souvient avec nostalgie la publicitaire, qui a préféré garder l’anonymat pour évoquer ce passé.
Coca-Cola leur a retiré le budget en 1999.
On sent une blessure qui n’est pas refermée.
Les artisans du phénomène Inca Kola ont été remerciés alors que la recette était éprouvée : table-repas-Inca.
La jaune était l’invitée d’honneur, l’autre, la brune, n’avait pas sa place au banquet.
Inca Kola…, le goût du Pérou…, la boisson jaune s’affiche partout à Cuzco, l’ancienne capitale de l’Empire inca.
“L’Inca Kola n’est pas bon seulement avec la cuisine péruvienne, il va avec tout“, dit, en se pourléchant les babines, le chef Cucho La Rosa , l’un des mentors de la nouvelle cuisine andine.
Humberto Sato, créateur de la cuisine péruano-japonaise et propriétaire du Costanera 700, assure qu’il n’y a rien de tel qu’une boisson claire comme l’Inca Kola pour digérer les saveurs extrêmes de son menu.
Isabel Alvarez, sociologue de la gastronomie péruvienne, a emporté de l’Inca Kola avec elle à un festival culinaire aux Philippines, afin de la soumettre aux palais étrangers.
Aujourd’hui, assise dans son restaurant El Senorio de Sulco, elle se rappelle que seuls quelques Asiatiques ont aimé.
Dans les années 1990, le slogan : “Inca Kola con todo combina” [Inca Kola se marie avec tout] était martelé sur les ondes radiophoniques, plus encore que n’importe quel tube de ‘Ricky Martin’.
“Le Wa Lok commence à se vider, figurez-vous que les gens qui vont en Asie en emportent dans leurs bagages, même si cela pèse très lourd“, raconte Liliana Com en sirotant son thé de Chine.
Elle tient ouvert devant elle le livre Los chifas en el Perû [Les chifas au Pérou], de la journaliste Mariella Balbi.
“L’Inca Kola a remplacé le thé dans les chifas péruviens“, lit Com.
On dirait même qu’il aide à digérer : “Doré, sucré, avec un léger goût de verveine citronnelle“…
Verveine citronnelle : plante aromatique originaire du Pérou qui peut mesurer jusqu’à 2 mètres de haut.
Le neurologue Fernando Cabieses, spécialiste de médecine traditionnelle, écrit dans un de ses livres que la verveine citronnelle stimule la digestion, soulage les flatulences et a des effets antispasmodiques.
En somme, la boisson parfaite pour aider à digérer la cuisine péruvienne, qui est piquante, lourde, acide, délicieuse.
Mais ne vous emballez pas, la formule jaune est aussi secrète que la “7X” de Coca-Cola.
On fantasme trop sur l’ingrédient occulte qui lui donne son goût douceâtre.
Serait-ce la verveine citronnelle ?
Pas si sûr, tout le mystère est là.
L’entreprise n’a jamais démenti non plus.
“Ça pourrait être n’importe quoi“, conjecture Hugo Fuentes, chef de produit d’Inca Kola.
Le Catalan Oscar del Alamo est venu au Pérou, il a bu de l’Inca Kola et il a cru y reconnaître le goût de la verveine.
Verveine : plante aromatique originaire d’Europe méditerranéenne qui atteint rarement 50 centimètres de haut.
A doses raisonnables, elle fait baisser la fièvre.
Si l’on en prend trop, elle provoque des vomissements.
“Verveine citronnelle ? Verveine ? Moi je pencherais plutôt pour la banane“, nous dit le seul des Lindley à avoir osé évoquer le sujet, à condition de garder l’anonymat.
Quand on enquête sur l’Inca, on finit toujours par arriver à Coca, qui gère la communication de la jaune au Pérou.
“Ni banane ni rien du tout, personne ne va vous révéler l’ingrédient“, rigole Hernân Lanzara, qui veille sur l’image de Coca-Cola dans l’empire de l’Inca.
Onzième étage d’un immeuble du quartier San Isidro, ce Manhattan de Lima aux gratte-ciel nains.
Sur un mur rouge de la réception, le logo de Coca-Cola a dû faire une place à celui d’Inca Kola.
“Eh oui ! il faut reconnaître que l’Inca accompagne bien les repas“…
Ce n’est pas une révélation que nous fait là Lanzara.
Deux heures plus tôt, un flot d’employés de bureau affamés a envahi le chifa Dragon Express.
Encore des affiches de dragons.
Deux journalistes et moi… y sont attablés.
Ils ont un carnet où ils ont consigné les questions qu’ils poseront un peu plus tard.
Pourquoi est-ce qu’il va bien avec les repas ?
Pourquoi est-ce qu’il ne se vend pas bien dans les autres pays ?
L’un des journalistes choisit des nouilles sautées.
L’autre, un poulet chijaukay [à la sauce d’huître].
Pourquoi la publicité a-t-elle joué un rôle si important ?
Pourquoi est-ce LA boisson préférée des Péruviens ?
Dehors, deux enfants en guenilles donnent des coups dans un téléphone public pour voler quelques pièces.
Coca-Cola a-t-il racheté sa concurrente pour la ruiner ?
Les plats arrivent.
On nous apporte des Inca Kola décapsulés.
Dans n’importe quelle ville du monde, on aurait l’impression qu’on nous force la main ; à Lima, on les accepte avec plaisir.
C’est seulement plus tard que nous comprenons ce qui vient de se produire : l’estomac ne ment pas.
Pourquoi Inca Kola ?
Nous mangeons.
L’un adore le goût sucré, le pétillant à peine perceptible, ce jaune glacé qui ouvre l’appétit.
L’autre ne sait pas pourquoi il en boit.
Il n’a jamais réfléchi à la question.
Identité nationale ?
Lutte contre l’impérialisme yankee ?
Gastrite ?
Il en boit, point final, sans explication, bien glacés.
Les enfants quittent le téléphone et entrent dans le chifa :”Tu me payes un soda, allez“, ont-ils juste le temps de lancer avant que le serveur les mette dehors à coups de pied.
Nous n’avons plus envie de manger.
L’addition, s’il vous plaît.
En face de l’immeuble de Lanzara vient d’ouvrir le restaurant La Chapa de Coca-Cola [La capsule de Coca], émule de La Esquina Coca-Cola de Mexico et de Buenos Aires.
Un lieu pensé par la multinationale ricaine, où l’on n’accompagne les repas qu’avec du Coca.
A l’intérieur, deux serveurs partagent leur collation à une table.
Ils ont l’air de s’ennuyer.
Ils n’ont pas de clients.
SusanaTorres est plasticienne, sauf quand elle tente de redevenir la princesse Inca Kola.
Impossible de raconter l’histoire de la boisson jaune sans évoquer la plus artiste de ses fans.
“Si vous faites un sujet sur l’Inca Kola, nous a-t-on prévenus, vous ne pouvez pas ne pas parler avec Susana Torres“…
Elle nous demande à présent si nous la voulons en princesse Inca Kola pour la photo.
Il faudra alors qu’elle pose à genoux, avec une longue robe et des tresses aussi fausses que longues qui lui donnent vaguement un air de méduse inca.
Il faudra aussi qu’elle prenne un regard de princesse ivre et qu’elle lève vers le ciel une bouteille d’Inca Kola.
“Si vous voulez, on fait la photo comme ça“, nous, crie Susana depuis une autre pièce.
Références : une pleine page couleur dans la revue Debate de Lima. SusanaTorres y apparaît dans toute sa splendeur, sous les traits de la princesse Inca Kola, brandissant la bouteille comme s’il s’agissait d’une. coupe cérémonielle inca.
A son domicile de Chaclacayo, à une heure de Lima, Susana conserve précieusement un exemplaire de la revue, ainsi qu’une collection de bouteilles historiques d’Inca Kola, des coupures de journaux sur l’Inca Kola, un album édité par Inca Kola, des publicités pour l’Inca Kola, la copie de l’un de ses tableaux pop art avec des motifs Inca Kola.
Et, dans son réfrigérateur, une bouteille de Coca light.
“J’étais accro à l’Inca Kola jusqu’au jour où il a été racheté par Coca-Cola“, lance cette traîtresse.
Mais elle continue à voir des Incas partout.
Aujourd’hui, à la veille d’une nouvelle exposition, elle menace de ressusciter la princesse Inca Kola en se déguisant en bouteille.
Pour tout dire, SusanaTorres est Coca-Cola.
Une expression de Lima pour qualifier quelqu’un qui a perdu la raison.
Maintenant l’artiste est au téléphone.
“Allô ?“…, elle parle d’une voix posée.
Elle s’est libérée de sa dépendance à la jaune il y a quelques années, elle jure que cela ne lui manque plus.
Depuis lors, elle ne s’est plus jamais relevée à 4 heures du matin pour s’en servir une rasade.
S’il lui est resté quelques séquelles de cette dépendance, ce sont les formes et les couleurs qui débordent encore de sa peinture, et cette obstination à collectionner tout ce qu’elle trouve sur l’Inca Kola ou sur tout ce qui lui ressemble.
L’artiste est aujourd’hui à la recherche de l’Inga Kola, invention d’un Péruvien d’Espagne, qui, à en croire les malades de nostalgie, n’a pas grand-chose à voir avec l’original, à part le goût.
Un psychologue en exil l’a bien dit : “à l’étranger, la valeur affective de l’Inca Kola est multipliée par deux“.
Voici quelques témoignages…
Giannina, Péruvienne, deVancouver : “Ici, on la trouve dans trois magasins, parfois, je n’en trouve pas une seule cannette et ça me désespère“…
Paola, de Miami : “C’est devenu un besoin. Heureusement, on en trouve partout“…
Brigitte, d’Allemagne : “On peut en acheter sur Internet à 4,90 euros, c’est de la folie“…
En effet, être accro à l’Inca Kola en dehors de son empire, c’est de la folie.
Rappelez-vous SusanaTorres : l’Inca Kola l’a rendue Coca-Cola.
L’usine d’embouteillage de l’Inca est située dans le vieux quartier du Rimac, traversé par le fleuve immonde qui lui donne son nom.
Des squelettes de belles demeures négligées, un pont colonial rongé par la pisse.
Seuls les chiens y circulent tranquillement.
Ils n’ont rien à se faire voler.
La porte de l’usine s’ouvre.
Odeur de bonbon.
Quelqu’un va vous raconter l’histoire de l’Inca Kola.
Visite de routine.
Ernesto Lindley a été militaire, mais il est aujourd’hui responsable des relations publiques de l’entreprise.
Il assomme son auditoire.
Des dates et encore des dates.
Il faut s’asseoir.
Lindley est flanqué d’une énorme bouteille jaune gonflée d’air.
Il tient un pointeur laser dans la main droite, tandis que sa secrétaire envoie les diapositives. Ernesto Lindley les commente.
Manuscrits.
1910 : la famille Lindley quitte l’Angleterre industrielle pour un Pérou nouveau-né.
Sur un terrain de 200 mètres carrés , elle fonde la Fabrique d’eaux gazéifiées Santa Rosa, appartenant à José R. Lindley et Fils.
Le Rimac était alors un quartier paisible.
Un endroit où il faisait bon vivre.
De temps en temps, le trot des mules chargées de denrées venait troubler la rumeur du fleuve. Diapositive suivante : les premières productions de Santa Rosa furent l’Orange Squash, le Lemon Squash et la Kola Rosada.
Qu’elles reposent en paix.
Tout se faisait à la main, une bouteille à la minute.
Un étudiant bâille au deuxième rang.
Lindley reste concentré.
En 1918, l ‘entreprise se dote d’une machine semi-automatique.
Quinze bouteilles à la minute.
C’est José R. Lindley junior qui prend la direction.
Autre bâillement mal réprimé.
L’entreprise familiale devient une société anonyme.
Le professeur bâille à son tour.
La préhistoire de l’Inca Kola, telle que la raconte Ernesto Lindley, semble aussi palpitante que celle d’une fabrique de clous.
Encore des dates et des bâillements.
Ernesto Lindley en est aux années 1930.
Il faudrait un bon Coca-Cola plein de caféine pour réveiller l’auditoire.
La boisson brune, justement, vendait déjà plus de 100 millions de litres par an et son empire commençait à déborder en dehors des Etats-Unis.
Le Honduras, le Guatemala, le Mexique et la Colombie succombaient.
Le Pérou n’en buvait pas encore, mais la voyait déjà au cinéma : Johnny Weissmuller,Tarzan, buvait du Coca-Cola.
Greta Garbo et Joan Crawford comparaient leurs formes à celles de la bouteille.
Mais, dans la fable officielle que raconte Lindley, Coca n’existe pas.
Diapositive suivante : l’Inca Kola est créé en 1934, mais lancé l’année suivante.
1935 : première stratégie.
La famille profite des festivités du 400e anniversaire de Lima pour lancer son soda jaune.
Bouteille verte transparente avec un Inca de profil sur l’étiquette.
Goût sucré, trop sucré.
Ça n’a pas été le coup de foudre : la ville était habituée à la traditionnelle chicha de maïs violet.
Ernesto Lindley ne raconte rien de tout cela, il s’en tient à une version edulcorée de l’histoire de l’Inca.
Deuxième stratégie : “Inca Kola OK” aura été le slogan le plus primitif.
Minimaliste, oublié, gringo, sans personnalité.
Insuffisant pour résister à la déferlante brune en 1939.
Cette année-là, Coca-Cola débarque au Pérou et trouve sur son chemin une entreprise familiale qui distribue son exotique boisson jaune dans une camionnette Ford.
Coca est arrivé avec la formule : “La boisson que tout le monde connaît“.
Avec Greta Garbo et Tarzan, le cinéma buvait du Coca-Cola.
Les Péruviens remplissaient les cinémas.
La brune allait enterrer la jaune jusqu’à l’arrivée de la télévision.
“Inca Kola commence à être assez populaire aux débuts de la télévision“, nous avait dit Hernân Lanzara… “quand on enquête sur l’Inca, on finit toujours par arriver à Coca“.
Mais il fut un temps où l’Inca parlait de sa propre voix.
Age d’or, les années Beatles.
La boisson des Lindley lançait sur le petit écran sa stratégie définitive : “Inca Kola, la boisson au goût national“.
C’était le slogan le plus vanté dans le milieu publicitaire d’alors, encore pubère.
Depuis, la publicité a essayé de séduire en déclinant le même concept.
“C’était ça, la magie du produit“, se rappelle la publicitaire anonyme de l’agence Properù.
Inca Kola, la boisson au goût national.
Inca Kola, la boisson du Pérou.
Table-repas-Inca Kola.
Inca Kola nous appartient.
Je préfère ce qui nous appartient.
Le slogan du nouveau siècle reste dans la même veine : “Inca Kola, il n’y en a qu’un et le Pérou sait pourquoi“.
A part quelques pétards mouillés, la publicité n’a jamais changé de recette.
La clé du succès de ce soda, c’est d’avoir exploité la télévision avec une saveur plus locale que Coca-Cola.
Lomo saltado, musique afro-péruvienne, Inca Kola, Pop-corn, rock’n’roll, Coca-Cola.
Le Coca parlait du monde et Inca Kola de fierté nationale.
Dernière diapositive du conférencier, on rallume la lumière.
La secrétaire de Lindley réveille l’assistance avec la promesse d’Inca Kola et de sandwichs au jambon.
Le Péruvien, il s’approprie tout par la bouche.
“C’est la réalité, nous ne pouvons être péruviens qu’à travers un plaisir aussi élémentaire que celui de la nourriture“, nous confirme le psychologue Julio Hevia, abrégé ambulant des phobies et des vices des Liméniens.
“Le Coca est plus intellectuel, l’Inca, c’est pour les repas“, assène-t- il, en tirant sur le filtre de sa cinquième cigarette.
Susana Torres a un peu forcé sur la boisson.
Hier, le vin a coulé à flots, et on la sent épuisée.
L’Inca Kola ne lui aurait pas flanqué une telle gueule de bois.
A midi, le soleil intense de Chaclacayo invite à la sieste.
Elle veut se reposer.
Elle ouvre la porte : “Je dis peut-être une bêtise, mais je crois que Coca-Cola a racheté Inca Kola pour la ruiner“, dit l’artiste en prenant congé.
La ruiner.
Trinquer avec de l’Inca Kola pour la ruiner ?
Hernân Lanzara avait démenti et nous l’avons cru : “L’Inca est un superproduit. Il a un fort potentiel à l’étranger“…
Mais les chiffres qu’il nous montre lui donnent tort.
Quand Goliath a payé pour David, les filiales de Coca-Cola dans le monde ont reçu un échantillon de la jaune pour en évaluer les possibilités à l’exportation.
Douglas Ivester l’avait promis : l’empire de l’Inca était déjà prêt à conquérir d’autres territoires.
En garde, les bouteilles !
Ouvrez le feu sur les papilles !
Pas moins de 92 % de la planète résiste.
Pouah !
Couleur pisseuse et goût de chewing-gum.
Seuls le nord du Chili et un bout de l’Equateur ont succombé à la séduction jaune.
Autant dire que, sur une carte de conquêtes, l’empire de l’Inca coïncide à peu près avec l’ancien Tahuantinsuyu [Empire inca].
Pas plus.
Les limites mêmes que les Incas n’ont jamais pu franchir.
La brune, en revanche, a fait du monde sa marelle.
Elle saute d’un pays à l’autre et s’en empare.
Du Mexique à l’Islande, 1 milliard de verres par jour.
Le monde boit du Coca-Cola et se laisse gagner par l’American way oflife.
Mais ça, oui, on nous a décerné un prix de consolation : la seule boisson gazeuse au monde qui ait pu triompher de la brune est péruvienne et jaune.
Question dramatique : le Pérou pourrait-il survivre sans l’Inca Kola ?
Il lui resterait le Machu Picchu, le cebiche, le pisco…, plus de limonade, plus de bonbons.
Les Péruviens seraient moins tolérants après les repas, plus maigres, et peut-être plus tristes aussi.
Ils urineraient moins dans la rue.
Ce serait bien.
Le Pérou survivrait, mais serait moins péruvien.
Inca Kola est un drapeau gastronomique, dans un pays où l’identité nationale passe par la bouche.
Chose curieuse : le drapeau péruvien arbore les couleurs de Coca-Cola, l’étranger.
Etranger aussi, l’ancien député britannique Matthew Parris est venu au Pérou, il a consommé de l’Inca Kola, il a connu les Andes et en a tiré un récit de voyage qui est devenu un best-seller : Inca Kola : A Travekr’s Taie of Peru.
Le livre, publié au Royaume-Uni, en est à sa onzième édition.
Paradoxalement, il porte le nom de la boisson jaune, alors que Parris n’en parle pratiquement pas.
Ce n’était pas la peine.
Habitué comme il l’était au thé et au Coca glacé, il a trouvé que l’Inca Kola était la chose la plus folklorique de son aventure, la chose la plus exotique de la culture péruvienne.
Mais il y a quelque chose de plus derrière cette bouteille : au Pérou, les familles, les amis, restent des tribus réunies autour d’une table.
A table, il y a le repas.
Et avec le repas, la jaune.
C’est une des façons pour les péruviens d’être grégaires.
Une phrase avant de se quitter : au Pérou, l’Inca Kola réunit ; à l’étranger, il fait revenir.
J’en connait un qui y est allé, qui n’en a jamais bu, qui a attendu 15 jours avant d’obtenir un bisou léché de la péruvienne en surpoids avec laquelle il conversait depuis 6 ans sur le web…, ce pour quoi il était finalement parti s’enterrer à Lima dans une chambrette cadenassée…
Il n’a pas bu d’Inca Kola, il n’a pas vu Machu Pichu, pas même le lac Titicaca ni même Cuzco…
Il était parti crevé, il est revenu fatigué…, il pense retourner en 2010… pour conclure… après avoir donné instruction à “sa” péruvienne de perdre son surpoids !
Elle qui adore l’Inca Kola…
Et lui ?
Touché par la grasse (et pas par la grâce), il affirme, sans rire, qu’il s’est passé : Quelque chose !
Oui, mais quoi ?
La masturbation rend sourd dit-on… et ici, en sus, il y a les effluves de l’Inca Kola…
Détonnant coktail !
Croyez-moi, cette affaire (que ce soit en double sens ou dans tous les sens), c’est pas le Pérou et l’Inca Kola rend fou, même si on n’en boit pas !