Je suis la mer et toi la falaise…
Pffffffffffffffffff !
Je suis la mer et toi la falaise, je me jette à tes pieds, tu me regardes de haut.
Je cherche à avancer, tu veux que je me taise, je me brise avec fracas, tu me tournes le dos.
Des gens viennent me voir, mais je ne peux monter voir ce que tu caches là-haut : des champs couverts de fleurs, de la verdure, des prés…
Pourquoi es-tu de roc, je ne suis que de l’eau ?
La marée veut m’aider, le vent de l’Est aussi, ils tentent pour moi l’impossible et tu restes insensible.
Acceptes de m’écouter, tu verras qui je suis, combien d’années faut-il, pour que je sois crédible ?
J’aimerais qu’entre nous il y ait une plage, je m’étendrais sur toi, je te rendrais hommage.
Alors, peut-être, qu’avec le temps, j’arriverai à t’effriter…, mais laisse-moi au moins m’approcher, que je puisse t’embrasser.
Sur les flots par une nuit d’étoiles, pas un nuage aux cieux…, sur les mers pas de voiles.
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.
Et les bois et les monts et toute la nature, semblaient m’interroger dans un confus murmure.
Les flots des mers, les feux du ciel, ma mélancolie et les étoiles d’or, légions infinies, à voix haute, à voix basse, avec mille harmonies, elles me parlaient en inclinant leurs couronnes de feu.
Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n’arrête, disaient, en recourbant l’écume de leur crête : pauvre fou que rien n’arrète…
Penchée au bord de la falaise de craie blanche dont elle était le prolongement exact , agrippée à ses remparts comme pour en prévenir l’écroulement , la vielle citadelle génoise paraissait sur le point de verser dans la mer, poussée par un vent terrible soufflant ses fureurs liquides sur les bouches de Bonifacio, de l’anse de la Catena, à l’entrée du port, jusqu’ aux docks de Santa Teresa di Gallura contre lesquels elles s’échouaient avant de se disperser en multitudes de courants apaisés sur la grande plaine Sarde.
Le vigoureux petit voilier fendait de son étrave des murs d’eau verte plus hauts que lui, souquait, crachant, craquant, brasillant d’écume, en direction d’une Marina qu’il semblait ne devoir jamais atteindre tant la force des éléments jouait contre lui.
– “Bonifacio, c’est 300 jours de vent par an”, me dit la jeune et joviale Xaviera qui m’avait proposé un “voyage”…, ronde et brune comme les châtaignes… “Et encore, aujourd’hui ça souffle à peine. D’habitude c’est bien pire ! Tu sais que les pilotes de supertankers viennent s’entrainer dans les bouches tellement les conditions météo sont difficiles ? Tu ne le savais pas ? Hébé maintenant tu le sais ! Y a pas à dire ça instruit les voyages ! Bonif, tu verras, c’est une ville très particulière. On n’y est plus vraiment en France mais ce n’est pas encore l’Italie. Ce n’est pas d’avantage la Corse tant ça diffère du reste de l’ile. Tiens…, la roche…, le calcaire, par exemple, on ne le trouve qu’ici ! Une veine de craie dans le granit. La langue aussi n’est pas la même. Nous on parle un patois issu du Ligure alors que le Corse dérive du vieux Toscan, personne ne nous comprend. On est un peu des étrangers chez nous, tu vois ce que je veux dire ?”…
Sympathique et rigolote, je ne me forçais pas à écouter ses bavardages, avec un sourire qui toutefois se crispait à chaque secousse du navire.
Au bout du voyage il y avait le port, et sur le port il y avait la stabilité… et la promesse de diverses félicités…
– “Tu vois le yacht, là bas devant la capitainerie, le grand qu’on dirait un Transatlantique ? Hébé, figure-toi qu’il appartient à Bill Gates .Même pas il en profite ce con. Il le loue, comme s’il n’avait pas assez de monnaie comme ça. A Brad Pitt. Je te jure, c’est vrai ! Je l’ai vue l’autre jour dans la rue Doria avec la fille qui jouait dans “Friends”, Rachel machin-chose. Ah il en passe de la viande célèbre chez nous. Faut dire qu’on leur fiche une paix royale. Personne ne demande un autographe, ni même ne prend une photo. Et quand les paparazzis les embêtent, hébé, les vautours les bastonnent histoire de leur apprendre les bonnes manières. Ma mère dit que les Corses, sont encore plus fiers que les stars d’Hollywood, que ça nous ferait mal au ventre de montrer qu’on est impressionnés par la célébrité ou le fric. Du coup les stars-people-machin ça leur fait de vraies vacances cette indifférence. Pas comme en France ou là en face chez les ” i Luchesi” ! On les appelle comme ça nous parce que les premiers envahisseurs en huit cent et quelque chose venaient de Lucques en Toscane. D’ailleurs c’est le Comte Boniface II de Toscane qui a fondé la ville. Et vous, les Gaulois, vous êtes “i Pinzuti” parce que vous parlez avec l’accent pointu ! On arrive ! Faut faire un vœu. La première fois qu’on met le pied sur la plus belle terre du monde ça demande un vœu !”…
Mon putain de vœu s’était réalisé avant que je le formule puisque Xaviera, rencontrée aux Issambres, capitulant à bout de nerfs, de désir et de passion, m’avait proposé un voyage de mer, grave et tendue derrière d’immenses lunettes d’éclipse, trempée d’embruns et blanc de sel.
– “Tu as fait bon voyage ? Non, hein ? Trop de vent ? On se croirait en Décembre. Génial. Bon bé on y va alors. L’hôtel n’est pas loin, juste là sur le quai. “La Caravelle”, tu verras c’est bien. Il y a même un piano bar. Le pianiste, c’est un as. Il joue au Cirque d’hiver hors saison. Sa femme, tu vas l’adorer, elle est folle. J’ai pensé que c’était mieux de rester ici deux jours histoire de se retrouver tous les deux en tête à tête. Allez magne, on est presqu’arrivés. Bon là, on est dans la ville basse. Des boutiques, des restos, des cafés, des hôtels, aucun intérêt. Par contre la ville haute est un joyau Médiéval. Tu vois la petite chapelle, là, toute blanche ? C’est Saint Roch, on l’a construite au XVIème Siècle à l’endroit ou est morte la dernière victime de la grande peste qui a décimé les trois quart de la population. Au dessus regarde, la porte de Gènes qui ouvre le chemin de ronde, alors que la porte de France de l’autre coté de la citadelle le ferme. Et la colonne de granit gris, à droite, au bort de la route, juste dans le virage, elle a été sculptée par les esclaves Romains. Aujourd’hui c’est le monument aux morts .Et là, le yacht, le gros, il appartient à Bill Gates”.
Elle s’immobilisa tout net devant l’entrée de l’hôtel et là, indifférente à un monde plus indifférent encore, elle caressa mon visage de sa longue main brune tandis qu’elle me disait d’une voix chaude et émue quelques jolis mots.
De Bonifacio, de ses rues escarpées, grimpant roidement à l’assaut des terrasses du Roy d’Aragon, d’où on aperçoit la cote Sarde et, par temps clair, les linges de couleur mis à sécher aux balcons de Santa Teresa, de son cimetière marin dont les chapelles blanchies à la chaux semblent boire tout le feu du soleil, de son chemin de ronde bordant comme un lacet l’à pic de la falaise, de ses plages secrètes, creusées à même la roche et auxquelles on ne peut accéder autrement que par la mer, indifférent à toutes beautés dés lors qu’elles n’avaient pas les yeux éblouis et le sourire radieux de Xaviera, le cœur rose bonbon, l’esprit azuré, le corps à la débâcle , je ne vis pas grand-chose durant ce séjour.
Etrangement je me rends compte que le bonheur, dans sa simplicité, dans son évidence, dans son monstrueux égoïsme, n’est pas facile à raconter.
Que pourrais-je vous dire que vous ne sachiez déjà du plaisir indécent de la fièvre érotique ?
Comment évoquer sans sacrifier à la banalité, deux jours d’errances et d’abandons entre les draps moites d’un lit immense, nos téléphones coupés ; nos familles, nos amis oubliés ?
La découverte de sa peau au grain lisse et serré, du gout mordoré de sa sueur, de l’exquise musique de ses soupirs ?
Les chuchotements, les confidences amorcées, avortées d’un baiser, les fous rires sans autre motif que le seul plaisir d’être ensemble, la bouleversante loquacité des regards ?
Comment peindre avec des mots ce qui s’en passe si aisément, ce qui tend à aller vers l’épure, l’essentiel, au cœur même du cœur ?
Et puis, vient l’instant ou le rêve suspend son vol, ou le dialogue s’impose, ou l’on ne peut plus se défiler.
Nous sommes allé diner dans un charmant restaurant de la rue Doria, si tard que nous y étions pratiquement les seuls clients…, j’ai trouvé Xaviéra d’une beauté stupéfiante dans la lumière rousse des photophores… elle m’a offert une de ces déclarations dont le souvenir, parfois, suffit à remplir toute une vie.
-“Tu ne réalises pas à quel point tu es intéressant ; tu ne réalises pas à quel point c’est passionnant de vivre avec toi au quotidien. On ne s’ennuie jamais”.
Qu’aurais je pu répondre à cela ?
Pour la première fois, moi qui ne suis que verbiage et fleur de rhétorique, je n’ai pu trouver les mots adéquats.
Au menu, Caviar de la Caspienne et ses accompagnements, du sucré, rien que du sucré : Mignardises, Baklavas, assortiment de Carolines, Florentins aux cerises et au gingembre, macarons, orangettes, sablés au citron, Muscadines, Diamants à la vanille et dentelles croustillantes au chocolat.
Toujours au menu, ragots, potins, bouchées au vitriol, becquées à l’arsenic, goulées d’acqua-toffana.
Pas d’alcool.
Uniquement de la Vodka au piment et au miel, servie dans des dés à coudre que nous vidions d’un trait entre deux rosseries.
En revanche…, le lendemain elle n’était plus là…, il me semble bien que j’avais de l’eau plein les yeux tandis que glacé d’épouvante, je comprenais que, déjà, je l’aimais moins…
Gavée de tisanes et d’ascèses, le corps et l’esprit purifiés, elle a du partir suivre une cure Italienne.
Trois semaines de retraite dans un monastère Lombard quelque part du coté de Brescia à bouffer du radis et à macérer dans la vase, tout cela pour le prix d’une Ferrari, il m’étonne qu’elle en sorte fort jouasse…
Sur les mers irritées, dérivent, démâtées, des nefs par d’autres nefs heurtées, des yachts aux mille couleurs, des galères capitanes, des caïques et tartanes qui portent aux sultanes, des têtes…, horreur, drame… et des fleurs, en bonheur !
Adieu sloops intrépides, adieu jonques rapides, adieu goélettes, adieu même à cette barcarolle dont l’humble banderole autour des vaisseaux vole… et qui, peureuse, fuit, quand du souffle des brises, les frégates surprises, gonflant leurs voiles grises, déferlent à grand bruit !
Adieu la caravelle qu’une voile nouvelle aux yeux de loin révèle.
Adieu le dogre ailé, le brick dont les amures rendent de sourds murmures, comme un amas d’armures par le vent ébranlé.
Adieu, la brigantine dont la voile latine du flot qui se mutine, fend les vallons amers… de la mer !
Adieu, la balancelle qui sur l’onde chancelle… et, comme une étincelle, luit sur l’azur des mers !
Adieu lougres difformes, galéaces énormes, vaisseaux de toutes formes, vaisseaux de tous climats, l’yole aux triples flammes, les mahonnes, les prames, la felouque à six rames, la polacre à deux mâts… et même chaloupes canonnières et lanches marinières où flottent les bannières…, aussi bombardes, que la houle, sur son front qui s’écroule, soulève, emporte et roule.
Adieu, nefs bizarres, caraques et gabarres, qui de leurs cris barbares troublent mon propre tintamarre !
Que sont donc devenues, ces galères chenues, la mer les jette aux nues, le ciel les rend aux flots !
Silence !
Tout est fait : tout retombe à l’abîme.
L’écume des hauts mâts a recouvert la cime.
Des vaisseaux, les flots se sont joués.
Quelques-uns, bricks rompus, prames désemparées, comme l’algue des eaux qu’apportent les marées sur la grève noircie, expirent échoués.
De ce rêve de mer, d’océan qui s’étire, si loin que ma vision m’épuise, ne reste qu’un mirage, aussi beau que vanité expire en nos temps de troubles sentiments de fin, de guerres et de désarroi, désespoir des uns et beuveries des autres…
Oui, quand la perte d’un mortel est écrite dans le livre fatal de la destinée, quoi qu’il fasse, il n’échappera jamais à son funeste avenir ; la mort le poursuit partout ; elle le surprend même dans son lit, suce de ses lèvres avides son sang et l’emporte sur ses épaules.
Que reste-t-il dès-lors, d’autre, en ce fatal instant entre deux mondes, que le souvenir, si vous êtes homme…, d’une femme qui vous sourit encore et tente, fol espoir d’appétences éternelles, de vous faire revenir au monde…, murmurant d’outre-tombe :
– Tu es la mer et je suis la falaise, tu te jettes à mes pieds, je te regarde de haut…, tu cherches à avancer, je veux que tu me baises, tu te branles avec fracas, je te tourne le dos…
Oupsssssssssssss !!!
Mojito…