Terry Rossberg, l’art de ” SINGER “ en récup’…
La machine à coudre Singer est la plus célèbre au monde… Le brevet de la première machine à coudre a été déposé par le tailleur français Barthélemy Thimonnier en 1830. 21 ans plus tard, en 1851, après une succession de brevets déposés par de nombreux inventeurs qui chacun à leur tour apportèrent leurs améliorations, Isaac Merrit Singer dépose le sien, en profite pour fonder sa société et débute la commercialisation de ses machines. C’est le jackpot !
Singer révolutionne la couture “à la maison”. Ses machines se vendent par millions, il fait fortune, son nom fait le tour du monde. Singer devient ainsi l’une des premières multinationales américaines. Sa domination est telle qu’au début des années 1860, 80% des machines à coudre vendues dans le monde sont des Singer. Et jusqu’à la fin des années 1990, on considère que Singer est la seconde marque la plus connue au monde derrière Coca-Cola.
Aujourd’hui encore, même si d’autres marques ont poussé Singer bien plus bas dans la liste, elle reste de loin la marque de machines à coudre la plus connue. A son lancement donc (au début des années 1850), Singer est vraiment la modernité incarnée. Ses machines sont le nec-plus-ultra et sont construites pour durer (son excellente réputation n’a pas été inventée !). On les retrouve partout dans le monde. Après-guerre Singer pâtit de la compétition mondialisée, le reste du monde n’allait pas laisser Singer se remplir les poches seul indéfiniment.
De nouveaux acteurs entrent sur le marché en masse et à la fin de la Seconde Guerre mondiale soit près de 100 ans après la création de Singer, la marque subit leur concurrence de plein fouet. Il y a d’abord celle des entreprises européennes, comme l’Allemand Pfaff et le Suisse Elna et puis celle venant d’Asie (du Japon spécifiquement), comme Janome et Brother. Toutes leurs machines se ressemblent et Singer perd son avantage compétitif face, d’un côté, à l’excellente qualité des compétiteurs européens et, de l’autre, aux prix ultra-démocratiques des asiatiques. C’est le début de la dégringolade.
Dans les années 1950, les entreprises commencent aussi à jouer le jeu de l’économie mondialisée. Elles se délocalisent pour réduire les coûts de productions pour devenir plus compétitives. Singer suit le mouvement et ferme la plupart de ses sites occidentaux pour en ouvrir en Asie. Singer cherche une solution, n’importe quelle solution pour survivre !
Singer tente de se renouveler en proposant des modèles plus légers et plus esthétiques mais sans grand succès. Sa part de marché aux USA chute et n’est plus que de 30% à la fin des années 1950. En même temps de se délocaliser, Singer est réorganisé, modernisé en profondeur (processus automatisés, produits améliorés) et tente de se diversifier en prenant le contrôle de trois autres sociétés et en produisant toutes sortes de produits électroniques et électroménagers.
Dans un premier temps, cette stratégie semble porter ses fruits puisque le chiffre d’affaires global de Singer a presque doublé entre 1958 et 1963. Mais cette croissance ne provient pas des machines à coudre qui ne représentent plus que 35% du chiffre de Singer en 1970 (contre 90% en 1958). Et en plus l’accalmie est de courte durée. En effet tous les changements instaurés par Singer dans les années 1950-60 ont déclenché une période de grande confusion dans la société Singer qui ne trouve pas sa place sur le marché moderne !
En plus Singer s’est endettée terriblement pour soutenir son expansion et faire grossir son chiffre d’affaires. Même si la société a bel et bien réussi à croître et même si elle bénéficie encore d’un nom connu, d’une bonne réputation et d’une position conséquente sur le marché, en 1970 le mastodonte s’appuie sur une base fragile. Le chiffre de Singer ne provient alors plus exclusivement (ni même principalement) des machines à coudre, quoique c’est encore leur division la plus rentable. L’impact des pertes est donc d’autant plus grand.
Alors que la compétition fait rage entre les marques de machines à coudre, la société civile change. Dans les années 1970, le travail de couture à domicile des femmes diminue et le prêt-à-porter prend son envol. Le marché des machines à coudre s’écroule et Singer, ainsi que tous les autres fabricants, font face à de sérieuses difficultés. En 1974, Singer enregistre une perte nette de plus de 10 millions de dollars. Il faut absolument que quelque chose change. En 1975, un PDG est nommé et décide presque immédiatement qu’il faut arrêter l’hémorragie et fait vendre toutes les divisions qui ne rapportent pas assez.
En quelques mois, la valeur comptable de l’entreprise est divisée par deux. Singer n’a plus alors que deux activités, complètement différentes l’une de l’autre, d’une part, son activité historique de production de machines à coudre, d’autre part, la fabrication de composants électroniques haute-technologie. Ces composants sont destinés par exemple aux systèmes d’air-conditionné, aux thermostats, et aux lave-vaisselles, mais aussi aux systèmes de guidage de missiles et fusées de la NASA !
Ces branches sont donc toutes les deux profitables, mais elles sont tellement différentes qu’il devient clair que leur regroupement sous une même enseigne est un non-sens. En plus il faut bien se dire qu’à la fin des années 1970, la machine à coudre est de plus en plus considérée comme une relique du passé. Même si son commerce est encore profitable, tout le monde s’accorde à dire qu’elle est vouée à disparaître (bien souvent tout le monde s’accorde à dire beaucoup de bêtises).
Alors ce qui devait arriver arriva : dans l’espoir d’éviter de faire plonger tout le groupe, les gestionnaires de Singer décident de se séparer des machines à coudre. Fin des années 80 la machine à coudre Singer s’envole pour de nouvelles aventures ! Dans le but de distancer la vente de machines à coudre de son autre activité, Singer crée en 1986 une filiale (SSMC Inc.) sous la forme d’une entité juridique indépendante de la maison mère. Par la même occasion, un grand nettoyage est effectué et l’entreprise se débarrasse des 1.600 magasins qu’elle possédait encore dans le monde, mettant ainsi à la porte des milliers de collaborateurs.
Finalement quand le PDG meurt de façon soudaine et inattendue, l’entreprise est mise en vente. Le repreneur la démantèle immédiatement pour la vendre en pièces détachées. En 1988 il est cependant mis en examen pour pratiques frauduleuses. Celles-ci n’ont à première vue rien à voir avec Singer, mais très vite il s’avère que les activités illégales n’ont pas épargné la marque. En fin de compte, le PDG sera reconnu coupable de neuf chefs d’accusation et Singer devra payer plus de 50 millions de dollars.
En général quand une maison mère créée une entité séparée pour une activité ou un département dans lequel elle ne voit pas d’avenir, c’est pour pouvoir s’en débarrasser dans un second temps. Singer ne fait pas exception à la règle. Ainsi, en 1989, la division de machines à coudre Singer (SSMC Inc.) est rachetée par Semi-Tech Microsystems, une société sino-canadienne. C’est là que l’histoire commence vraiment à sentir le moisi.
Semi-Tech Microsystems n’a a priori aucune connaissance ni intérêt particulier dans les machines à coudre, et le moins qu’on puisse dire est que sa gestion est très obscure. Par exemple son PDG : Stanley Ho, propriétaire de 19 casinos à Macao est soupçonné de relations avec les Triades (les mafias chinoises). L’entreprise sino-canadienne profite ensuite, en 1993, des difficultés financières du fabricant Allemand Pfaff pour le racheter aussi…. et ce, quelques années après l’acquisition de SSMC Inc. (que l’on va continuer d’appeler Singer puisque les machines sont toujours commercialisées sous ce nom).
Elle groupe alors les activités de Recherche et Développement des deux marques pour créer des synergies. Malgré ces péripéties (division, rachat, fusion), au milieu des années 1990 Singer est encore une marque reconnue et respectée… mais cette fois Singer commercialise des lecteurs cassette, des télévisions ou encore des aspirateurs ! C’est un succès dans les pays en voie de développement, en particulier au Mexique, mais ça ne suffit pas et l’entreprise enregistre quand même une perte de plus de 200 millions de dollars en 1997.
La même année, pour pousser plus loin la coopération (et réduire les coûts), Singer rachète Pfaff afin notamment de fusionner leurs activités de marketing, vente et distribution. La production reste cependant inchangée : les machines à coudre Singer sont fabriquées au Japon et celle de Pfaff en Allemagne. Pourtant la situation ne s’améliore pas ! En 1999, Pfaff, à bout de ressources, se voit contraint de déposer le bilan. Singer n’est pas en mesure de lui venir en aide compte tenu de ses propres difficultés financières.
Semi-Tech Microsystems décide alors de conserver Singer et vend Pfaff à Viking Sewing Machines Group qui produit déjà la marque Husqvarna. Bien que Viking Sewing Machines Group soit une entreprise spécialisée dans les machines à coudre, il ne faut pas se méprendre, lorsqu’elle rachète Pfaff en 1999, elle a déjà perdu l’essentiel de sa substance et est entièrement possédée par un fond d’investissement privé, dénommé Kohlbertg&Co. Peu après Semi-Tech Microsystems plonge encore plus profondément dans la tourmente quand son fondateur, le Chinois James Ting – jusque là réputé l’un des businessmen les plus doués de Hong Kong – est mis en examen puis condamné pour pratiques frauduleuses.
Singer est alors placé sous redressement judiciaire. Kohlbertg&Co flaire la bonne affaire et prend le contrôle, Singer et Pfaff sont à nouveau réunis au sein d’une même entreprise et ils forment avec Husqvarna, le conglomérat le plus important du monde dans l’industrie des machines à coudre. Pour l’occasion, Kohlbertg&Co effectue un montage financier complexe basé sur une entité juridique distincte (baptisée SVP Worldwide) dont le siège est aux Bermudes, les licences enregistrées au Luxembourg et les bénéfices déclarés à Singapour. Même si Singer tout comme Pfaff et Husqvarna sont encore très présent sur le marché des machines à coudre, la marque Singer n’est plus qu’une étiquette vide de sens.
Le modèle auparavant unique et révolutionnaire de Singer est quasi identique pour toutes les machines à coudre. Ses activités de Recherche et Développement, son marketing, sa distribution et globalement sa gestion toute entière sont en grande partie mêlés à ceux de Pfaff et Husqvarna. Même la production a quitté, pour la majorité des machines à coudre Singer, le Japon. Les trois marques ont en effet externalisé celle-ci à des sous-contracteurs chinois, brésiliens et vietnamiens. Il est vrai qu’il existe des exceptions, quelques rares modèles haut de gamme qui sont commandés à l’entreprise japonaise Janome et produits dans ses usines.
Il est cependant très difficile de savoir quelles machines ont la qualité Janome et lesquelles ne l’ont pas. Bref, mis à part ces quelques modèles haut de gamme, les machines à coudre Singer, Pfaff et Husqvarna se valent et ne sont pas plus qualitatives que n’importe quelle autre machine produite en masse dans des pays en voie de développement. La seule différence est le prix (supérieur). Les Holdings financiers qui détiennent le droit sur ses marques savent que, dans l’esprit des gens, une Singer ou une Pfaff est un gage de qualité. Ils arrivent encore à capitaliser sur le prestige, depuis longtemps disparu, de ces grands noms.
Arrive alors TERRY ROSSBERG, un bricoleur-mécanicien génial qui a l’idée de transformer les “épaves” de machines à coudre en sculptures d’automobiles et motos miniatures… Installé dans son atelier à la Saline Les Bains sur l’île de la réunion, Terry Rossberg réalise des sculptures entièrement réalisées à partir de bois, de boîtes de fer, de pierres et autres matériaux. Un bout de bois flotté devient un poisson et autres chatoyants habitants de l’océan, une vieille machine à coudre brute et hostile se transforme en un objet de préciosité. Il suffit de l’imaginer et Terry le crée.
A 57 ans, originaire de Montpellier, Terry Rossberg décide de poser ses valises sur l’île pour être au plus près de ses enfants et petits-enfants. Mais on lui découvre une tumeur : -“A mon arrivée à La Réunion, je n’ai pas pris le temps de trouver un boulot car on m’a découvert une tumeur à la tête, opérée avec réussite il y a un an. Lorsque j’ai appris que j’avais un cancer, j’ai voulu vivre le temps qu’il me restait à ne faire que ce que je voulais. C’est à partir de là que j’ai fait des créations avec la récup et le détournement d’objet. Mais je tiens à souligner qu’aujourd’hui je suis sorti normalement de cette maladie et je vais très bien. Je n’ai d’ailleurs aucun traitement ni chimio juste un suivi”.
Cette passion de bricoler, d’inventer des choses avec tout ce qui lui passe entre les mains, il l’a depuis son enfance. Terry a essayé tout petiot de tenter de s’inscrire à l’école Boulle qui enseigne l’art à Paris mais la vie l’a contraint à choisir un métier de commercial plus simple et plus prompt à lui assurer le quotidien et l’alimentaire. Cela ne lui a pas empêché de faire une ou deux créations par an que ce soit de la sculpture sur bois, sur pierre ou métallique ou encore de la peinture sur toile ou décorative sur véhicules de compétition.
Un métier qui lui permet de continuer de dessiner, de modeler et de sculpter. Terry Rossberg a ce talent, ce don, ou ce défaut de voir des objets, des personnages, des esquisses dans tous les objets depuis tout petit. Un peu comme les enfants qui s’amusent à imaginer des animaux en regardant les nuages. Alors, il imagine et crée des œuvres qui ramènent en enfance : -“Je dessinais plutôt très bien depuis tout petit grâce à ma maman qui pratiquait la peinture artistique. Et j’ai commencé à bricoler, à faire de la mécanique et à utiliser des outils dès l’âge de 11 ans car mon père réparait et se fabriquait ses propres véhicules tout-terrain pour aller en forêt ou en brousse à Libreville au Gabon. Lorsque j’ai eu 17 ans, mon père a eu un très grave accident et est rentré en France en 1983. J’ai dû abandonner mes projets de faire une école d’art et commencer à travailler dans le premier métier que j’ai trouvé, c’est à dire la vente de matériaux”.
Sensible à la nature qui nous entoure, Terry s’est lancé depuis peu dans le recyclage de toutes sortes de matériaux. Il détourne des objets et leur redonne une seconde vie : -“Un restaurant avait d’ailleurs largement contribué à cette décision car je lui avais fait plusieurs créations avec du bois flotté et du bambou. Malheureusement, cette expo fut très courte car ce restaurant a été détruit, mais cela a contribué à donner une première impulsion à mon travail. J’ai eu un bon nombre de commandes par la suite. Et j’ai été tenté de voir avec d’autres matériaux que le bois, toujours avec l’idée du recyclage, même si j’avais pris note que l’idée du recyclage n’était pas viable financièrement sauf si j’adoptais une production à grande échelle”.
L’idée de multiplier ses créations le rebute. Terry continue avec un cheminement plus dirigé sur le métal, plus compliqué certes mais un peu plus valorisée que le bois. Puis un jour, le destin a mis sur son chemin, lors d’une brocante, une machine à coudre Singer. Une identique à celle que possédait sa grand-mère. C’est le coup de foudre ! Le mécanisme était cassé mais Terry l’a prise en se disant qu’il arriverait bien à en faire quelque chose. Et voilà comment est née sa première création avec une Singer devenue un tracteur qui s’est vendu correctement.
La semaine suivante, il y retourne et retombe encore une fois sur une autre machine à coudre Singer à la brocante de Saint-Pierre. ll en a fait la première automobile machine à coudre Singer et depuis, il ne se pose plus de questions, car il ne réalise plus que des voitures avec des vieilles machines à coudre qui se vendent plutôt bien en Europe et même à La Réunion. Les œuvres de Terry Rossberg sont uniques. Chacune de ses créations est vendue environ 1395 euros et est livrée avec un certificat d’authentification signé par Terry Rossberg himself.
Sa passion pour le recyclage rejoint un peu sa philosophie de la vie des hommes qui sont comme les objets : ils vieillissent. Et un jour, les plus jeunes décident qu’ils sont dépassés et has been ! -“Je pense et je dis que les hommes comme les objets mis au bon endroit avec les moyens et l’attention qu’ils méritent, peuvent surprendre et servir à beaucoup de choses”…
On ne peut qu’adhérer à cette philosophie naturaliste autant qu’humaniste. Mais quand on voit l’acharnement mis par les humains à détruire la Nature on se demande s’il n’est pas déjà trop tard !
Remerciement à PASSION REUNION et à Karoline Chérie pour l’interview
Terry Rossberg – tel +262 (0) 692894227 – Mail : resid34tg@orange.fr – Hexagone
2 commentaires
Je crois que les humains s’acharnent d’abord à se détruire entre eux, avant de penser à détruire la nature, qu’en pensez-vous mon cher Gatsby ?
Cet article m’a ramené chez ma grand-mère, dans la pièce où il y avait la machine à coudre !
Oui, sans doute, quoique… Mais… En fait… Et tenant compte de… avec circonspection et réflexion… Je pense que… Sans redire… que… bien pesé… la transformation des corps de machines à coudre, n’est pas destructeur de la nature, sauf si… sans trop y penser… et vec nuance… on pourrait concevoir l’exact inverse !
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