Vegas Elvis…
Au deuxième étage de la maison de Jesse Garon à Las Vegas, il y a un placard, le placard d’Elvis. À l’intérieur se trouvent quatre mannequins d’Elvis, six paires de lunettes de soleil d’Elvis enfermées comme des objets rares dans du plexiglas et des dizaines de tenues d’Elvis. Le vieil Elvis, le jeune Elvis, même l’Elvis militaire. Jesse enfile un jeune costume noir d’Elvis avec une boucle de ceinture en or “Assez grande pour manger un dîner de Thanksgiving”, comme il le dit. Quand il glisse sur ses pompes, il se transforme. Il est maintenant “Vegas Elvis”, roi des imitateurs de The King… Au bar, il se verse une Vodka Elvis et allume son flipper Elvis. Il me montre un album photo : Jesse en Elvis en Cadillac à Hollywood. Il est même apparu dans PlayGirl, dans PlayBoy, et a été Star dans divers films porno “Hyper-Elvis-Sex” ou il offre à la caméra chaque centimètre de son talent.
À l’arrière de sa propriété décorée comme le manoir d’Elvis se trouve une voiture drapée sous un gigantesque drapeau américain. Lorsque Jesse l’enlève, c’est comme si elle décollait la peau, révélant un cœur battant en dessous : une Cadillac 55 Series ’62 rose seins nus, son char d’orgies de nuit. Elle n’est pas si différente de la Caddy qu’Elvis lui-même a acheté le 7 juillet 1955. Nous suis venu voir le Vegas que peu de gens osent faire : Sin City après minuit, sans doute que LasVegas est l’endroit le plus moralement corrompu sur terre après 1° l’Ukraine, 2° le château/Zemlinsky, et 3°le Palais d’injustice de Bruxelles… Jesse Garon a donné tout ce qu’il avait pour incarner le roi de LasVegas, la Caddy rose inclus. Lorsque Jesse demarre le V8 la voiture, il gronde comme un dinosaure avec une tortue coincée dans la gorge. Pas de doute : la nuit va être longue. Il met la voiture en marche et une chanson explose sur le lecteur CD…
C’est Elvis Presley, juste au bon moment : “Bright light city”va mettre mon âme en feu… Viva Las Vegas! La plupart des touristes traversent Las Vegas en “Promène-Couillons”. Lorsque nous traversons le Strip dans la Caddy, la foule devient folle à voir Elvis ressuscité… Jesse salue la foule en délire tout en klaxonnant. La voiture plus toute jeune émet des bruits de craquement et vibre : “Ne t’inquiète pas” me crie-t-il au-dessus de la musique :“Cette chose pèse 2 tonnes. On ne peut lui faire de mal”…. Nous passons devant le Westgate, où le vrai Elvis vivait autrefois dans le penthouse, et le Stratosphère, ou les touristes peuvent sauter à l’élastique… Jesse commence alors à me raconter sa vie : “Je suis né à Mesquite, au Texas. Depuis que j’ai 13 ans, Elvis était le seul genre de musique que je pensais. Quand j’ai terminé le lycée, j’ai dû choisir entre l’université et Elvis. Je suis donc venu à Vegas avec 2.000 $…
Il a subi une chirurgie plastique pour ressembler davantage au roi Elvis. Puis il a choisi un pseudonyme :Jesse Garon n’est pas son vrai nom, mais plutôt celui du frère jumeau mort-né d’Elvis Presley, moins un “i” dans l’orthographe.. Tout ce dont Jesse avait besoin, c’était une Cadillac pour rivaliser avec l’autre Elvis : “J’ai trouvé un type qui avait un vieil entrepôt rempli de voitures. Il a accepté de me vendre celle-ci à un bon prix. Elle était noire, et quand il a su que j’allais la peindre en rose, il ne voulait plus me la vendre. Je lui ai promis que je ne le peindrais pas en rose. Puis je l’ai quand même peinte en rose”. La Caddy rose de 1955 d’Elvis n’était pas rose à l’origine non plus. Quoi qu’il en soit, cette voiture appartenait à Lucille Ball. Cette Cadillac est maintenant un élément majeur de son entreprise, il vend des balades pour touristes à bord en sillonnant LasVegas, des défilés avec le maire et diverses personnalités…
C’est ce qui assume le pain et le beurre de Jesse. Le caviar est payé par les mariages. Il prend des couples à leur hôtel, les emmène dans une chapelle, les conduit dans des décors typiques pour des photos et effectue même la cérémonie : “J’ai été l’un des premiers révérends Elvis ordonnés à Vegas”, me dit-il… Nous continuons en traversant l’intersection de Las Vegas Boulevard et de Tropicana : “Oui, j’ai été le premier Elvis ordonné révérend en ville. J’ai fait 650 mariages l’année dernière entre 1.000 et 2.000 dollars chaque, plus divers extras et les commissions des hôtels et restaurants. J’adore mon travail. Cela dure depuis 30 ans. Je suis devenu multi millionnaire en traitant correctement mes clients pour le plus beau jour de leur vie. Tout ce que j’ai à faire, c’est de ne pas accidenter la Cadillac. De plus mes clients se souviendront de moi pour le reste de leur vie”…
Après 30 ans dans cette ville, il a sa part d’histoires : La fois où il a mangé deux poissons rouges dans un aquarium de bar après avoir perdu un pari ou rien sur un jeu. La fois où il a failli avoir sa propre émission de téléréalité avec un imitateur transgenre de Diana Ross. La fois où il a reçu la clé de la ville des mains d’Oscar Goodman, le maire de LasVegas à l’époque… et dans une vie antérieure, un avocat de la mafia qui représentait Frank Lefty Rosenthal et Meyer Lansky… “J’ai conduit en collant cette clé dans tous les trous que je pouvais trouver et aucun de ces trous n’a fonctionné. Mais cette ville a été bonne pour moi”, dit-il… Nous entrons dans le parking de Piero’s sur Convention Center Drive : “Et ça a été mauvais pour moi aussi. Quelqu’un a faim ? “… Elvis a faim. Notre nuit commence. Il me raconte de mémoire une courte liste de clients qui ont savouré une balade dans sa Cadillac et le tarif italien classique chez Piero’s…
La liste est incroyable : “Mick Jagger, Keith Richards, Bill Clinton, George W. Bush, Michael Jordan, Justin Timberlake et toutes les anciennes stars de Vegas, de Sinatra à Jerry Lewis. Même Martin Scorsese a tourné une scène de dîner ici avec moi et ma Cadillac pour Casino avec Robert De Niro, Sharon Stone et Joe Pesci”… Le menu n’aurait pas changé depuis l’ouverture de l’endroit en 82 ; “Tous les mets habituels sont ici : Linguini alla Vongole”… Quand nous arrivons, il est tard et la cuisine est fermée, sauf si vous êtes Elvis. À ce moment-là, les portes s’ouvrent et une table est installée dans la cuisine, la nappe et tout. Sortent des assiettes de linguine et des côtelettes de steak : “C’est le deuxième meilleur morceau de viande que j’ai mangé de toute la journée” me dit Jesse en faisant un clin d’œil. Plus tard, alors que nous sortons de Piero’s, il marmonne de manière audible : ” Bonne nourriture. Mais si Joe Pesci était là, je lui botterais le cul de suite”.
Nous accélérons et quelques pâtés de maisons plus loin on sroppe dans le parking du Double Down Saloon, la Mecque des assoiffés. Bien que cet endroit soit connu pour un cocktail appelé “Ass Juice”, nous commandons des whiskies plus civilisés. C’est ici près des tables de billard que nous prenons Kalani Kokonuts, ancienne strip-teaseuse, légende du burlesque de Vegas et engrenage furtif. C’est un Trans Hawaïen aux yeux étincelants en talons et longue robe moulante comme l’est une danseuse burlesque dans un bar de LasVegas. Kokonuts s’est produite sur à peu près toutes les scènes de la ville. Dans ses temps libres, elle chante dans un groupe de rock appelé The Pussyrammers. Elle suggère une séance photo dans la salle de bain du Double Down, une alcôve particulièrement chargée d’histoire à Sin City. C’est parti : Elvis Presley, Kalani Kokonuts, l’écrivain éméché (moi), un photographe et un videur !
Il tient à s’assurer que nous ne faisons rien que nous ne devrions pas faire. La porte se referme derrière nous, et Jesse commence à canaliser le Roi : “Seigneur Tout-Puissant, je sens ma température monter tout comme mon pénis”...Dehors, dans le parking, Kokonuts s’exclame “Belle voiture”… Lorsque vous êtes dans une Caddy rose’55 bien après minuit avec une danseuse transsexuelle à gros seins, rien de mal ne peut arriver… Nous partons à la recherche de certains des endroits préférés de Jesse, ceux que la plupart des gens ne connaissent pas et que la morale rejette. De haut en bas, il insiste sur le fait que ses cheveux Elvis sont à l’épreuve des balles jusqu’à 75 mph…. Kokonuts dit que sa coiffure va à 100 mph. Nous roulons dans l’allée de la chapelle de mariage, qui est l’équivalent de Wall Street pour Jesse Garon. Alignés sur South Las Vegas Boulevard : la chapelle de mariage Viva Las Vegas et la chapelle Graceland…
Ce sont les lieux de prédilection de Jesse. Il y a aussi Little White Wedding Chapel, une expérience drive-through où Britney Spears s’est fait atteler (sic !) et Michael Jordan aussi (re-sic !). Nous passons et demandons au préposé d’ouvrir les portes blanches “Just Married” à la sortie, pour une expérience complète. Il n’y a pas de meilleur moment que 3 heures du matin pour regarder l’art des rues. Jesse me montre ses pièces préférées : la fresque murale Rat Pack sur le côté de Koolsville Tattoo sur Las Vegas Boulevard. Il y a là le jeune Elvis, Sinatra d’âge moyen et le célèbre panneau “Welcome to Fabulous Las Vegas Nevada”… Est-ce du graffiti, ou un chef-d’œuvre digne du MoMA ? “C’est les deux. C’est le point” dit Jesse… Kokonuts est d’accord. Elle produit une fiole de tequila en forme de banane, à nouveau sur la cible… La Caddy a encore un certain nombre de destinations à me montrer.
Ce pourrait être Mermaid’s Casino sur Fremont, un dessin animé d’un joint avec des machines à sous, un bar et une cuisine servant des Twinkies et des Oreos frits, 99 cents la pop. Ou Dino’s Lounge, un endroit hurlant inégalé en ville pour sa bizarrerie karaoké. La devise du bar : “Getting Vegas Drunk Since 1962”. C’est une entreprise familiale. Les boissons sont bon marché. Nous nous retrouvons finalement à l’ancien White Cross Liquor Store/Vickie’s Diner, réputé pour être le plus ancien restaurant de Vegas et l’endroit préféré de Hunter S. Thompson pour terminer une nuit. Là ça me parle, j’adore son style Gonzo. Je sens que ça va m’inspirer pour tapoter un bon article déjanté. Kokonuts commande un 7-Up et de la tarte (clin d’œil en sortant son flacon de banane), et Jesse commande le steak rond haché (8,50 $), qu’il commande toujours ici, avec une sauce supplémentaire.
Je me contente d’une saucisse grillée/chips qui fait que Kokonuts me regarde soudain avec des yeux émerveillés lorsque je mange une première bouchée… La nourriture est un plat de dîner direct, comme vous mangeriez dans n’importe quelle ville d’Amérique. Seulement cet endroit est sur South Las Vegas Boulevard et nous sommes au bord du lever du soleil, et d’une certaine manière, cela fait ressortir les saveurs d’une manière magique. Alors que nous nous entassons dans le Caddy en sortant., Jesse dit : “Cette voiture n’est pas hybride, il faut faire le plein d’essence”…. Nous nous arrêtons au coin de la rue à une station-service ouverte toute la nuit, juste au premier soupçon du lever du soleil. C’est ce moment à LasVegas où vous ressentez ce tiraillement de désespoir, comme si vous étiez sur un fil de fer au-dessus d’une fosse existentielle.
Cette nuit ne peut pas être terminée. Jesse fait fonctionner le lecteur CD du Caddy, et la voix d’Elvis nous raconte la douceur de la nuit à LasVegas : “Il y a mille jolies femmes qui attendent là-bas / Et elles vivent toutes le diable peut s’en soucier / Et je ne suis que le diable avec de l’amour à revendre… Viva Las Vegas”… Est-ce vraiment la ville du vice ? Las Vegas, huit lettres en néons qui font rêver…, c’est bidon…, pas du tout branchée comme New York, plus popu que Los Angeles, beaucoup moins intello que San Francisco, la ville est pourrie de partout, mais reste un symbole que Hollywood a mythifié, avec “Casino”, “Ocean’s Eleven”, “Las Vegas Parano”, “Leaving Las Vegas”, “Very Bad Trip”, sans oublier le mythique “Showgirls”, de Paul Verhoeven (un de mes nanards chouchous)…Vous êtes vous déjà admiré dans un miroir alors que vous étiez bourré ? Si la réponse est non, vous ne connaissez rien à Las Vegas…