L’art sous l’aspect de la photographie…
L’art, et je vais ici vous en “parler” sous l’aspect de la photographie, a toujours cotoyé l’automobile, l’aviation et la marine.
Comment juger d’une éthique ou d’une esthétique sinon par ce qu’elle apporte au fonds commun ?
L’art nouveau dont fait partie la photographie, par définition ne se mesure que par la non identité, l’obsession de la nouveauté ne cessant de se dévorer, de s’absorber elle-même.
Chaque jour, une certaine manière artistique d’appréhender la photographie, cesse de l’être pour rejoindre le douteux patrimoine d’une certaine industrie du culturel qui prétend, en toute hypocrisie, livrer au consommateur ce qu’il désire : désirs qu’elle invente, en anticipant sur des régressions mimétiques.
L’art ne se consomme pas plus qu’il ne se fabrique, il ne s’adresse qu’à ceux qui l’aiment, ces amateurs qui ont pratiquement disparu depuis que ce mot superbe est devenu péjoratif et méprisant.
Etre moderne, voire contemporain, ce n’est pas obligatoirement avoir le nez écrasé sur une époque et une société en gestation de sa forme et de sa culture.
Il en va du Moderne comme du Baroque, du Romantisme ou du Surréalisme, il ne faut surtout pas le chercher là où il croit s’imposer.
Jamais l’esprit de nouveauté ne s’est montré aussi fallacieux que depuis qu’il prétend coïncider avec la libération de l’individu.
L’obélisque du moderne s’est alors effondré en tour de Babel ; la colonne orgueilleuse s’est retournée comme un puits sans fond où se retrouvent tous les archétypes de la régression et de la répétition.
N’est-ce pas André Gide qui a dit que l’art naît de contrainte, vit de lutte et meurt de liberté ?
Il n’y a pas si longtemps, le développement de l’Art moderne se présentait comme un large mouvement de libération dont quelques grands créateurs soulignaient les étapes.
Aujourd’hui, alors que l’art moderne n’est déjà plus contemporain, n’est-ce pas l’art contemporain qui menace de perdre sa modernité.
Notre époque a vu s’exaucer bien des rêves parmi les plus anciens de l’homme et les plus chimériques.
Les bottes de sept lieues sont à la portée de tous.
Jason n’a plus besoin d’Ariane ; il a déjà son fil.
Phaéton et Icare ne tombent plus, ils volent et de plus ils sont assurés.
Mais où sont les Apollons ?
N’est-ce pas l’homme d’aujourd’hui qui n’est plus à la hauteur de ses rêves ?
Henri Ford avait juré de faire de l’automobile une machine si parfaite que n’importe quel imbécile puisse l’utiliser. C’est l’automobile populaire qui réduit l’homme à l’imbécillité, elle le conduira bientôt à un certain nihilisme…
En effet, bien des gens n’achètent pas une automobile rare parce qu’elle est une oeuvre d’art mobile, mais parce que son prix très bas dans certains cas, leur permettent d’acquérir une automobile qui, neuve, leur était inaccessible…
Ils sont dès lors totalement incapables d’apprécier une oeuvre artistique voire une automobile (ou un avion, voire un bateau) sous son aspect innovant et créatif, mais uniquement parce que l’objet est le symbole d’un certain statut social !
C’est de là que bien des gnous ne s’interessent qu’à, par exemple, des Mercedes “Pagode” 230/250 et 280SL qui ne sont pas des jalons de l’épopée industrielle et/ou créative… ou plongent dans des achats d’automobiles de masse qui dès le départ étaient des objets de consommation mal pensés et mal réalisés (comme la VW Coccinelle)…
Dans une société standardisée en état de réanimation permanente, l’art n’apparaît plus comme une synthèse, mais comme un résidu, un substrat de gesticulations et comportements inutiles.
Même si elles ont fait couler beaucoup d’encre, les fameuses “Avant-gardes” n’ont jamais rien précédé et l’on attend toujours le Messie.
Aujourd’hui le génie est introuvable parce qu’il n’y a plus que des génies.
Comme l’art, il est devenu lui-même un produit, un signe dont on peut affubler n’importe quoi pour le désigner comme art.
Comment lutter aujourd’hui pour l’art et la culture ?
Que défendre au nom de qui contre quoi ?
L’art contemporain confond souvent, dans un même simulacre de célébration mystique les Martyres de l’imposture, qu’ils soient morts en elle… ou contre elle, le tout dans un verbiage pédant et faussement précieux plus ou moins ridicule, recouvrant exactement le point où, de l’art dépassé par une dialectique qui n’est même pas la sienne, ne subsiste plus que le fantôme de tout ce qui a pu être réalisé et mémorisé jusqu’ici (pensez à la manière dont s’exprime Arielle Dombasle pour mieux imaginer)…
Depuis Babel, symbole inversé mais prophétique de la mondialisation et de l’expression homogénéisée, les hommes sont fascinés par la peur et le besoin de la totalité, au point d’en être réduits à des affects et des moyens d’expression tellement vidés de sens, qu’ils ne sont plus objectifs qu’au détriment de l’objet même, sans en plus rien recevoir de concret ni d’universel.
Les grands imposteurs des dernières décennies apparaissent tous, en dépit des apparences, comme des individus d’ego très faible, facilement soluble dans le bouillon de culture.
C’est pourtant précisément leur faiblesse qui fait leur force au milieu des naïfs.
L’industrie culturelle qui dispose de grands moyens de diffusion, les a présentés au contraire comme des phénomènes absolus, sorte de miracles élémentaires, exigeant une foi qui équivaut en fait à une paralysie de l’intelligence, et une contamination de l’esprit.
Comment expliquer autrement la persistance de telles inanités et qu’on ait pu tant écrire, y compris divers professeurs de philosophie spécialistes de la manipulation intellectuelle (je pense par exemple à Bernard Henry Levy), qui n’ont même pas le piètre mérite, comme Andy Wharol, d’avoir créé un véritable style.
Ces “penseurs” de l’imbécilité, veulent nous persuader que c’est la transposition de l’absolu dans l’apparence alors qu’il s’agit exactement du contraire.
Est-ce une fatalité de l’histoire que la bêtise se perpétue au nom de la culture ?
Quelle époque que la nôtre aura été plus riche en crimes contre l’esprit ?
Comment peut-on nous imposer de tels spectacles avec la bénédiction des autorités ?
Les verrons-nous dans quelques temps, décorés des palmes académiques, voire membres de l’institut ?
Le vingtième siècle a largement démontré la double vanité d’un art qui se veut connaissance mais rien entend pas moins se commercialiser comme un produit.
Classique, moderne ou contemporain, nous n’avons toujours pas – et nous n’aurons jamais – de définition de l’art qui demeure ce domaine abstrait, mais d’une telle présence, ce lien imaginaire mais aussi cette chaîne jusqu’ici ininterrompue de points d’appui récurrents, de relais où chacun peut trouver sa réalité la plus secrète dans ce qu’elle a d’universel.
L’art n’est-il pas ce miroir qui est aussi un œil, ce silence qui est aussi une voix, un appel et pour quelques uns un ordre ?
Qui a jamais su ou pu analyser cet acte de transcendance qui, à l’image du révélateur photographique, sait extraire l’art de ce qu’il n’est pas, de cette nuit originelle qui reste toujours sa référence ?
A peu prés seul en ce temps à cumuler écriture et photographie, du moins à avoir assumé une responsabilité critique, je me suis vu souvent reproché cette double activité comme une tentative d’être juge et partie, alors que je multipliais les difficultés et les résistances.
Du moins ai-je été le seul à dénoncer d’insupportables impostures bien avant qu’un scepticisme de bon ton, le refus modéré des excès du système n’aient engendré une sorte de compromis laxiste que d’aucun ont su parfaitement exploiter.
Ce que l’on dit Moderne n’est-ce pas ce qui ne saurait durer ?